Chams Eddine Hafiz recteur de la grande Mosquée de Paris |
Chams Eddine Hafiz recteur de la grande Mosquée de Paris, ne pouvait savoir que son article envoyé au journal Le Monde serait publié dans la même page avec une tribune signée par quatre scientifiques israéliens. Notre recteur ne pouvait prévoir une telle concomitance, à moins qu’il n’ait le don de la divination, sinon une intuition instinctive hors pair. L’événement est d’autant plus insolite que le message du recteur ne fait que confondre ses invisibles interlocuteurs.
Pour notre part, nous nous félicitons d’une telle passe d’arme à fleur mouchetée. Ne nous éclaire-t-elle pas de manière fort impressionnante sur l’étroitesse d’un esprit scientifique embrigadé, usant de clichés éculés ? Ne nous renseigne-t-elle pas sur l’esprit humaniste et créatif d’une autorité religieuse musulmane ?
Rappelons d’abord que les signataires se présentent comme suit : « Nous sommes des professeurs d’université en Israël…. Nous sommes passés, de nuits consacrées aux téléconférences avec l’Agence spatiale européenne et la NASA pour étudier l’atmosphère de Jupiter, à des nuits sur le terrain avec un fusil d’assaut M16, du travail théorique sur la compression de données, à la préparation de provisions alimentaires pour le front, de l’étude de la génétique chez le poisson-zèbre, à de longues heures passées sur des cartes et la planification tactique et de l’étude de la géochimie des sédiments vieux de millions d’années à des opérations de combat en temps réel. ».
Ce déluge de titres pompeux nous laisse pantois. Nos petites cervelles si périssables ne peuvent qu’admirer de telles performances ingénieuses. Ne sommes-nous pas en présence de la science infuse dans toute sa sentencieuse grandiloquence ?
Toutefois. Rappelons-le, il s’agit du fleuron de l’élite intellectuelle israélienne. Éclairons-nous donc de ces rayons fulgurants :
« Nos vies personnelles et scientifiques ont été plongées dans le chaos. Les terroristes ont dévasté des villages entiers, progressant méthodiquement de maison en maison, tuant, violant, mutilant et brûlant vifs des civils innocents, y compris des bébés, des enfants et des femmes enceintes lors d’une attaque barbare soigneusement planifiée. »
Une telle description est terrifiante, mais ne rappelle-t-elle pas les horreurs commises par l’armée Israélienne ? Avec la différence notable que cette armée commet ses crimes quotidiennement, jusqu’à aujourd’hui, et continue sans relâche et ceci, il faut bien le noter, après et avant le 7 octobre, et même avant la naissance du Hamas. Tout cela est perpétré à Gaza et en dehors de Gaza, avec une régularité et une sauvagerie qui méritent sa place dans le Guinness book.
Nos scientifiques non seulement feignent d’ignorer tout cela, mais sans cligner des yeux nous assènent qu’ils sont en première ligne pour défendre la liberté et les droits de l’homme. Tout en étant contraints de s’exprimer depuis leur unité de réserve militaire, qu’ils ont rejoint juste après l’attaque du Hamas.
On ne peut que s’interroger : quelle est la teneur de la lucidité d’une scientificité enrégimentée dans une armée d’occupation ? Nos « universitaires » se disent « porteurs de valeurs libérales de gauche » et pleurent à chaudes larmes sur « la souffrance inhumaine infligée à nos frères et sœurs Israéliens ».
Et la souffrance palestinienne ? Certes, elle n’est pas oubliée, sauf qu’elle est vue autrement. Cette souffrance « doit être considérée dans le contexte d’un conflit entre les cultures. Il s’agit, en l’occurrence, d’une guerre entre le fondamentalisme religieux extrême et les valeurs libérales. »
Une telle clownerie veut nous convaincre qu’Israël est dans le camp du libéralisme et de la liberté, alors que les palestiniens sont dans celui de l’islamisme, et ils méritent donc largement leur funeste sort. Nos scientifiques pensent que leurs acrobaties puériles permettent à Israël, non seulement, de s’en tirer à bon compte, mais surtout de rapiécer une virginité pataugeant dans la boue.
On aimerait interpeller amicalement ces libéraux invétérés. Que dire de ce rabbinat de fanatisme qui gouverne Israël, n’est-il pas le plus bondieusard de toute son histoire ? Cette colonisation aussi fascisante que rampante, et qui est à l’origine de toutes ces ruines, est-elle libérale ?
Une telle simplification manipulatrice ne craint nullement le ridicule. Elle enfonce même sa niaiserie pour conclure péremptoirement, « Hamas n’a rien à voir avec le libéralisme », ce qui justifie donc « une réévaluation des actions prioritaires », disent-ils. Ce qui est un appel univoque à poursuivre le massacre tous azimuts.
Comment expliquer que des scientifiques se livrent à de telles élucubrations ? Est-ce la mécanicité de la raison pure ? Celle-là même qui structure la perception et cuirasse les certitudes, en dehors de toute émotivité et toute remise en cause ? Ainsi, kidnapper un enfant israélien est un crime. J’en conviens. Mais, que dire de ces enfants palestiniens déchiquetés, démembrés, gisant sous les décombres ?
La riposte indignée du recteur
Notre recteur intervient pour nous dire qu’il est temps que la bêtise humaine s’arrête, que la sottise cesse d’insulter notre intelligence.
Le recteur commence par dénoncer ces « ennemis de la nuance » qu’illustre cette grossièreté qui tourne le dos à la subtilité et sa finesse. Voilà pourquoi « il est sain de se taire un peu avant de déverser des propos prétendument perspicaces, mais qui n’en demeurent pas moins haineux, à la portée désastreuse ».
Tout en dénonçant cette idéologie perverse, l’auteur s’interroge : « comment sauver notre humanité fragile ? » Alors sans ambages, il déclare : « Je n’ai rien à apprendre à la conscience humaine universelle. Les images sont plus fortes que mes propos sur la question. Je suis dans le camp de toutes les victimes civiles et dans celui de la paix. »
À « ces farceurs de la vie intellectuelle française », le recteur dit : « faire endosser aux Juifs de France et du monde entier la responsabilité d’un gouvernement israélien en pleine crise politique et morale ; C’est une profonde injustice que je ne saurais cautionner. » « Ce conflit n’a rien de religieux ni de civilisationnel. »
L’auteur nous rappelle ses illustres prédécesseurs qui ont gravé dans la mémoire nationale une certaine idée de l’humanisme. « Le premier recteur de la Grande Mosquée de Paris, Kaddour Ben Ghabrit, a aidé à sauver avec l’imam Abdelkader Mesli des personnes juives de la barbarie nazie. Quand la guerre des Six-Jours a éclaté, en 1967, le recteur Hamza Boubakeur a créé, avec des amis juifs et chrétiens, l’association Fraternité d’Abraham pour affirmer que le conflit n’avait rien de religieux. »
L’auteur conclut : « c'est l’heure du choix. Pas entre les musulmans et les juifs. Pas entre Israël et un État palestinien dont l’édification s’avère plus que jamais urgente. Non. Il faut choisir entre l’humanisme et l’horreur. »
Le recteur ne se contente pas d’innover en prônant un islam républicain, mais il confirme son ancrage dans cette tradition humaniste qui n’a jamais déserté la conscience musulmane sous forme d’ijtihad. Ainsi, l’islam n’est pas une mystification superstitieuse comme le prétendent certains xénophobes ségrégationnistes de bas étage, mais une élévation de l’homme, un effort de s’affranchir de cette crédulité bigote et hallucinatoire qui hypnotise les gogos, toutes confessions et communautés confondues.