L’INTRODUCTION
L’année « 1689 » fut de bon augure. Le sultan du Maroc My Ismaël remporta une victoire éclatante contre les Espagnols, leur arrachant la ville de Larache occupée depuis 1610. Toute la garnison espagnole chargée de la défense de la ville tomba prisonnière. Le sultan profita de l’occasion inespérée et dépêcha Al-Wazir, son secrétaire personnel, à Madrid. Celui-ci a pour mission de négocier l’échange de cent officiers, faisant partie de la garnison en question - appartenant pour la plupart à la haute hiérarchie militaire et sociale espagnole - contre la libération de cinq cents captifs musulmans, et la récupération de cinq mille ouvrages arabes. Ceux du sultan Zaydan échoués entre les mains des Espagnols au cours de péripéties fort tumultueuses, et ceux tombés entre ces mêmes mains lors de la chute de grenade en 1492.
Après un séjour
de sept mois en Espagne, Al-Wazir une fois rentré, sa mission accomplie avec
succès, entreprend de rédiger un rapport à l’intention du souverain, sous forme
de relation de voyage, qu’il intitula « Rihlat Al-Wazir fi iftikak al asir
», ou « La relation d’Al-Wazir pour la libération du captif ».
Deux raisons
essentielles nous ont conduits à nous intéresser à cette Rihla :
D’abord son
intérêt propre, en tant que document dont la valeur historique est indéniable,
disons même exceptionnelle. Dans la mesure où il nous renseigne sur la
perception et la représentation de l’Europe, chez une personnalité marocaine, occupant
un haut rang au sein du “Makhzen chérifien” à la fin du XVIIe siècle.
Ensuite la
méconnaissance, sinon le rejet dont ce document fera l’objet de la part des
historiens marocains, depuis sa parution jusqu’à aujourd’hui même.
Cependant, cela
ne signifie nullement que cette Rihla fut ignorée ailleurs, elle a par contre
suscité un certain intérêt auprès des chercheurs étrangers, elle fut traduite
partiellement dès 1884 en langue française. Une autre traduction intégrale
cette fois-ci, a vu le jour en 1940 en langue espagnole, flanquée d’une édition
du texte arabe.
Pourquoi donc nous’intéressons nous à un travail déjà exécuté ? Nous considérons, en effet,
qu’aucune des deux contributions mentionnées n’a saisi, ni épuisé les
caractéristiques essentielles de cette Rihla. La première en langue française
–signée Sauvaire- est faite en
méconnaissance totale de l’identité de l’auteur, considéré comme un “anonyme”
et sous un titre qui n’est pas celui de l’auteur, mais de la composition du
traducteur : “Une Ambassade marocaine en Espagne”.
Que dire de
l’édition et traduction espagnole de Bostani ? Nous affirmons sans la
moindre nuance, que ses fautes, ses partis pris, ses censures, bref, ces
violences exercées à l’encontre de ce texte ont largement contribué à son
émasculation.
En effet, le
traducteur - éditeur va jusqu’à se permettre de s’introduire dans le texte,
afin de le remodeler selon son bon plaisir, composant des titres, comme des
sous-titres de son propre choix ; corrigeant non pas celui-ci, mais la
marche du temps, donnant ainsi un air de fausse modernité à une œuvre qui
n’aspire qu’à garder son authenticité. À cela s’ajoute l’absence de la moindre
interrogation, en dépit de la densité événementielle et les sous-entendus que
recèlent certaines expressions. Bref, tout le travail est à reprendre, avec en
plus la critique de l’édition et de la traduction en question.
Que dire de la
traduction française, elle-même sans annotations, sans commentaires. Sauf
quelques notes aussi éparses que sans grande portée ? Rappelons tout
d’abord que cette traduction est partielle, qu’elle est trop vieille, ses
préjugés sont incompatibles avec les exigences scientifiques. Si parfois nous
n’avions fait que retoucher certains paragraphes, nous avions souvent jugé
utile de remanier complètement certains autres.
Il est à noter
en effet, que derrière le sens direct que pense relever Sauvaire comme Bostani,
il y a souvent un ensemble d’images, de symboles, d’impressions, de
tiraillements d’une conscience. Tout ce cortège aussi bigarré que chatoyant
s’efface sous la plume de ces traducteurs, pour ne laisser qu’un sens littéral,
qui nous renseigne certes, mais nullement nous instruire.
Il est à
souligner par ailleurs, que l’intérêt que nous portons à nos devanciers,
s’explique par le fait que leurs noms sont -depuis lors- trop liés à celui
d’Al-Wazir. À leur corps défendant, ils se retrouvent partie intégrante de sa
Rihla. Ainsi, toute tentative visant à restituer ce discours avec toute la
charge environnementale, qui lui donne ses propres caractéristiques, nécessite
d’accorder un regard particulier à la manière dont il fut traité par ses
commentateurs et ses traducteurs.
C’est cette
démarche même, qui nous a incités à porter un regard particulièrement attentif
à ces apostilles, portées en marge du manuscrit de la bibliothèque royale de
Rabat, où le scribe laisse de temps à autre éclater sa colère, et son
indignation, face à l’impertinence d’une approche tellement profane à son goût
qu’elle soulève son indignation.
Cependant, ces
erreurs comme ces défaillances, comme ces préjugés, sont le fruit d’un certain
contexte. Notre contexte à nous, nous impose pour rester fidèle à une
objectivité historique, de nous situer dans l’environnement d’un texte, se
mettre dans “la peau” de son auteur, avoir présentes à l’esprit ses propres
contradictions, saisir ses référents d’identification, de même que les
implications que soulève l’officialité de ses fonctions. Etc.
Car
soulignons-le, cette Rihla avant d’être une relation de voyage est avant tout
un discours, avec tout ce que ce mot implique en sciences humaines, c’est un
système de connotations, de significations, d’émotions, de symboles. Ne pas
tenir compte de cela, c’est courir le risque de réduire cette œuvre, à un
simple exposé linéaire, dénotatif, dénué de sa richesse culturelle. Ce sont
donc de telles préoccupations qui nous ont incitées à examiner de près, le
lexique de l’auteur, interroger cette double articulation sémantique et
syntaxique, afin de capter cette multiplicité frémissante d’un sens qui, ne
saurait comment être explicite alors qu’il est ballotté entre non-dit et
implicite ?
Notre attention
sera constamment accaparée par certains mots-clefs, soit parce qu’ils
reviennent sans cesse, ou parce qu’ils représentent une certaine originalité.
Mais surtout parce que ces mots sont porteurs d’une charge culturelle pétrie de
valeur structurante. Ce qui leur confère indéniablement un rôle important dans
la systématisation de la perception, de la représentation.
Voilà pourquoi
nous considérons que ces mots, ne peuvent être abordés “tels quels”, dans leur
apparente innocence. Ils nous invitent plutôt à problématiser leur utilisation,
saisir l’environnement textuel, dévoiler leurs diverses implications
linguistiques. Une telle démarche ne rendrait pas superflu le recours au
« Lissan Al’arab », dont l’utilisation pourrait fausser
l’appréhension d’un environnement linguistique spécifique, mais s’avère de
haute importance pour mesurer l’écart, la dissemblance, la similitude, la
compénétration entre le sens qui se déploie dans cette référence suprême de la
langue arabe, et la quête spécifique d’un autre sens, celui-là même que dicte
le décloisonnement d’un regard.
Il
s’agit en effet d’un discours « exilé », confronté à la nécessité de se
construire différemment. Mais comment le faire en dehors de la fameuse mamlaka
« le royaume des certitudes » ? Comment le faire sans être en proie à cette
immense interrogation : Est-ce possible de dire ce qui n’a jamais été
dit ? Décrire ce qui n’a jamais été décrit ? Comment pousser la
langue sacrée du Coran dans ses retranchements ? Comment nommer l’innomé. ?
Tout cela n’est-il pas synonyme de bouleversements psycho-culturels ?
Traduire sans
tenir compte de cela n’est-il pas plus que trahir ? Cela ne nous conduit-il pas
comme ce fut déjà le cas avec nos prédécesseurs à un amas d’inexactitudes et
d’à peu près ? N’est-ce pas pathétique que d’accompagner cet homme, pour
constater de visu ses efforts inlassables de s’affranchir de l’emprise pesante
d’un style désuet, d’un héritage étouffant ?
Que l’on ait
présent à l’esprit, le choc ressenti par cet homme, imbibé de la supériorité de
sa religion, de sa détention de la vérité suprême. Un homme qui se prépare à un
voyage, qui va lui offrir l’opportunité tant espérée, de témoigner en
spectateur de la décadence de l’infidèle, et même saisir l’occasion, afin de
lui assener quelques leçons d’histoire et de morale, l’initiant ainsi à cette
conversion ardemment souhaitée. Mais une fois sur place, et à sa grande
surprise, il constate que tous ses outils d’appréhension sont en panne. Contre
toute attente, il découvre en guise de l’infidèle, un brave homme qui le nargue,
qui lui tend un miroir magique, reflétant ce qu’il n’a jamais soupçonné, à
savoir, sa propre image, une image aussi contrastée qu’insolite!
Il s’agit de
l’aventure d’un homme, certes ; mais également le drame d’une langue, qui
se trouve confrontée à ses propres limites. Les mots arabes, ces témoins fiers
de leur éloquence, cette « façaha », dont la virtuosité est
proverbiale, sont ici dénués de leur jardin fleuri. Exilés, dépouillés, ne
peuvent que perdre leurs repères, c’est-à-dire les signes de leur gloire. Que
de fois nous les avions surpris bégayant, ne sachant que dire. Alors que le
dire « alqawl » est l'essence de leur renommée, leur
raison d’être.
Serons-nous
étonnés si le non-dit accapare souvent la part du lion ? Ces questions qui
restent suspendues malgré les réponses évidentes qu’elles suscitent, ces
réminiscences qui s’infiltrent. Tous ces éléments « parasites » qui
brouillent l’image et qui s’introduisent par « inadvertance »,
faussant ainsi la perception, mais qui constituent paradoxalement le socle
d’une perception autre que la perception.
N’est-ce pas
que l’absence de réaction, face à un événement, à une attitude, à un
comportement est plus éloquente que l’éloquence supposée d’un discours ?
N’est-ce pas que le discours balbutie par ce que la langue perd de sa
superbe ?
Arrêtons-nous
sur ce moment pathétique, où l’auteur entre en conflit ouvert non pas avec la
langue, mais ses limites dérangeantes. Ne trouvant d’autres issues, que
d’ouvrir toutes grandes les portes à tout un cortège hétéroclite de mots
espagnols, transcrits tels quels, sinon traduits défectueusement, c’est-à-dire
dénaturés, altérés. Tout cela ne renvoie-t-il pas à un décalage déchirant ?
Avec ces mots étrangers, l’auteur ne frappait-il pas à une autre porte, d’une
autre temporalité, n’adhérait-il pas momentanément à un autre rythme, ne
cherchait-il pas à échapper à une banalité, n’exprime-t-il pas un désir fervent
du neuf ?
Une autre
réalité dérangeante fait irruption, avec toute la palpitation de sa vivacité,
comment la décrire sincèrement, alors que l’on ne dispose que de clichés
surannés ? Semble s’interroger l’auteur. Un autre style ne s’impose-t-il
pas ?
Voilà pourquoi
il est important pour nous de découvrir ce style, cette langue. Qui exigent
pour être saisis, de traduire non pas le mot, mais le réflexe qu’il suscite,
non pas l’expression, mais la réaction engendrée, non pas le trait mais le
sentiment émergé.
Encore une
fois. C’est ce moment qui accaparera toute notre attention, c’est cette tension
psycholinguistique riche de sens, d’humanisme inquiet, de spiritualité ouverte,
qui mérite largement qu’on s’y arrête.
Notons que
c’est la première fois, que le chrétien cesse d’avoir une présence abstraite.
C’est la première fois qu’il fait irruption en chair et en os, chamboulant
ainsi tout un imaginaire. Et tout cela ne se passe pas dans un quelconque
empyrée, mais bel et bien dans un espace concret, qui occupe une place de choix
dans ce même imaginaire. Il s’agit en effet de cette Espagne qu’Al-Wazir nomme
Al’adwa : « l’autre rive ». Cet espace saturé de signes, de
symboles musulmans.
Or, Al-Wazir
est d’origine andalouse, il appartient à cette communauté qui a eu tout le mal
du monde à se réadapter avec le pays d’accueil. Mesurons donc à sa juste
valeur, l’immense charge affective et nostalgique qui anime un homme, décrivant
le pays qui fut jadis le sien et qui n’est plus le sien, qui abrite toujours
les sépultures de ses ancêtres qui lui rappellent à chaque pas, qu’ils ne le
sont plus !.
Il va de soi
que seule une approche critique, multiple et avertit de tant d’enjeux, seule
une telle effervescence de l’esprit nous garantit la restitution de ce texte,
dans la diversité de son expression, et la tension brûlante de son
accouchement.
Le dernier
chapitre de cette Rihla, négligé par Sauvaire sous prétexte qu’il est
légendaire est non seulement réintégré mais soumis à une autre lecture. Afin de
ne pas tomber dans l’erreur de notre prédécesseur dont la traduction se basait
sur un seul manuscrit, notre démarche à nous, consiste à consulter tous les
manuscrits disponibles ; les confronter, les collationner afin de relever
les variantes, combler les lacunes et établir enfin notre propre édition, dont
l’authenticité ne saurait être en aucune façon remise en doute.
Les deux
manuscrits qui nous ont servis de base, sont ceux de la Bibliothèque Royale (A)
et celui de la Bibliothèque de Tétouan (B). Celui de la Bibliothèque de Madrid
que nous avions consulté aussi, n’est qu’une copie de ce dernier. Ces
manuscrits sont certainement insuffisants, mais l’édition Bostani - malgré ses
graves lacunes -, nous a rendu un excellent service. L’éditeur a pris soin de
souligner en marge, les variantes avec d’autres manuscrits, auxquels nous
n’avions pas accès.
Tous ces
manuscrits en effet, se complètent admirablement, leur concours mutuel nous a
permis de pallier les insuffisances. Il est vrai qu’un original de la main
de l’auteur aurait tranché certains points litigieux. Cependant, bien que
conscient de cette lacune, nous considérons que notre effort, amarre
irrévocablement ce travail dans l’identité de son auteur.
Ceci dit, notre
recherche en quoi porterait-elle le label de “recherche” si elle se limitait à
une besogne d’une nouvelle traduction “revue, corrigée et augmentée” ?
Cette Rihla n’est-elle pas un témoignage et un document d’histoire ? Se
contenter de la traduire sans la prise en compte de son environnement, n’est-ce
pas la déraciner, et de là, ouvrir la voie à toutes les déviations dans
lesquelles se sont engouffrés nos prédécesseurs ? N’est-il pas urgent de
retrouver l’auteur, son appartenance, ses fonctions et sa formation, tout comme
l’arrière-plan historique qui l’a conduit à accomplir son voyage en Espagne, et
de là à rédiger cette Rihla ?
Cette
préoccupation nous a conduits grâce à des documents de première main, à
rétablir les conditions qui motivèrent le voyage d’Al Wazir, son séjour en
Espagne, tout comme l’échange de prisonniers entre Marocains et Espagnols.
S’agissant de
l’identité de l’auteur, nos recherches n’ont pas été infructueuses - tant s’en
faut - mais les travaux consultés, pour
la plupart des manuscrits, auraient dû nous fournir davantage d’informations.
Hélas, notre auteur ne jouit d’aucun prestige qui lui vaut l’honneur de la
citation, ceux qui l’ont mentionné ne l’avaient fait que parce qu’il occupait
les fonctions de secrétaire de My Ismaël.
Cependant le
nom de l’auteur, son ethnique et sa filiation, nous ont servi de guide, dans
les dédales de cette littérature. Si nous avions pu localiser la famille de
l’auteur, si nous nous sommes arrêtés sur certains membres illustres de cette
famille, qui ne manquaient pas d’influencer Al-Wazir, sa personnalité, comme sa
perception des choses de la vie, nous n’avions malheureusement récolté que de
maigres informations sur l’auteur lui-même, sa vie comme sa formation.
Cependant, nous
devons reconnaître que quelles que soient les brèches, nous pouvons affirmer
que grâce à la qualité de la documentation exploitée, l’auteur de la “Rihla
Alwazir fi iftikak al-asir” Muhammad b. Abd. Al Wahhab Al Wazir Al Gassani, dit
Hammu, nous est plus proche, plus connu, nous connaissons bien sa famille,
l’itinéraire fulgurant de cette dernière depuis l’Andalousie, jusqu’à son
extinction au Maroc. Nous connaissons également de manière précise la nature
des fonctions qu’il occupait auprès de son roi. Nous connaissons sa prise de
position politique dans une affaire célèbre de son époque, ainsi qu’une mission
diplomatique qu’il avait accomplie à Alger. Etc.
Certaines
lettres que nous avions découvertes, l’une dans l’affaire de Diwan La’bid,
l’autre comme préface à un ouvrage de littérature. Ces lettres écrites, signées
par Al Wazir en personne nous le rendent encore moins opaque, plus familier.
Cependant,
certaines questions demeurent suspendues, n’est-il pas étrange que l’auteur qui
fait preuve dans sa Rihla, de sagacité, d’esprit de rénovation, de curiosité
intellectuelle, n’ait pas écrit un seul ouvrage durant les dix-sept années
entre sa Rihla en Espagne en 1691 et sa mort à Fès en 1708. Comment se fait-il
que toutes ces années ne lui inspirèrent pas la moindre épître, lui qui était
dans le cœur de l’effervescence politique ? L’auteur d’origine andalouse
n’avait-il aucune place dans le champ intellectuel de son nouveau pays ?
N’était-il pas porteur d’une autre sensibilité ? N’avait-il donc qu’à se
taire et traverser les siècles en solitaire ?
D’autres
interrogations se font jour, à titre d’exemple le problème des captifs, ceux-ci
constituent le moteur du récit, et la justification par excellence de cette
relation dont le titre lui-même est l’illustration parfaite. À notre grande
surprise, ces captifs que nos investigations nous ont fait découvrir, libérés
et ramenés au pays grâce à Al-Wazir, sont curieusement absents de son
récit ! Comment expliquer ce silence assourdissant ? Pourquoi
l’auteur ne se targue-t-il pas d’un tel exploit ? Seules les archives
espagnoles nous permettent de suivre les péripéties mouvementées de la
libération des captifs, jusqu’à leur arrivée dans leur pays et la réception qui
leur fut accordée par My Ismaël en personne.
Cela nous amène
donc au deuxième volet, de cet intérêt qui nous a incités à faire de cette
Rihla, l’objet de cette étude, et que l’on peut résumer en cette immense
interrogation :
Quelles sont les raisons qui expliquent ce désintérêt total, envers
Al-Wazir de la part de ses compatriotes ? Toutes les Rihla faites en pays
européens et sans exception furent éditées, commentées, annotées, sauf
celle-ci. Aucun historien marocain jusqu’à aujourd’hui n’a daigné jeter le moindre regard sur elle,
ni s’intéresser à son auteur, encore une fois : quelles sont les causes
avouées ou inavouées, qui condamnèrent à l’oubli un souffle d’air vivifiant.
Comment expliquer que seuls les étrangers ont exhumé et exhibé cette Rihla à
des fins qui servent plus l’idéologie que la science ?
Afin
d’illustrer nos propos et mieux ressortir l’originalité de cette Rihla. Nous
avons cru bon de procéder à une confrontation entre cette œuvre d’Al-Wazir, et
certaines autres Rihla entreprises à leur tour en Espagne. Car il est patent de
constater que si Al-Wazir et sa Rihla furent ignorés, ses successeurs ont eu
tout le succès escompté. Muh.El Fasi qui a édité la plupart de ces travaux, nous
dit que ce sont eux qui ont incité les sultans à engager les réformes (Al
Islah). Si cette affirmation est à vérifier, il est indéniable que ces auteurs
ont largement contribué à la formation d’une certaine image, d’une certaine
Europe.
Dans un ouvrage
qui vient de paraître en langue arabe sur “l’Europe dans le miroir des
relations des voyageurs marocains”. L’auteur, historien va même jusqu’à
soutenir que toutes ces Rihla depuis Ibn Utman Al Miknasi “forment trois étapes
dans la formation de la conscience historique nationale marocaine”. Il va sans
dire que ni Al-Wazir, ni sa Rihla, ne sont à aucun moment mentionnés !
Restaurer et
restituer cet édifice disparu, c’est-à-dire l’homme et son œuvre, lui restituer
le rang qui lui revient dans cette fameuse “conscience historique nationale”.
Voilà un pari difficile, si ce travail malgré ses imperfections, et la part de
subjectivité qui le traverse, réussit un tel exploit, il ne serait ni vain, ni
inutile.
Je n’oublierai
surtout pas avant de conclure cette introduction de remercier les responsables
de la Bibliothèque Générale, comme ceux de la Bibliothèque Royale et de la
Bibliothèque de la Source de Rabat, de même que le personnel de la Bibliothèque
Nationale et de la Bibliothèque Orientale à Paris. J’exprime donc toute ma
gratitude envers ces femmes et ces hommes qui m’ont, avec une inlassable
obligeance, permis de consulter toutes sortes de documents nécessaires à ma
recherche.
Je tiens à
remercier également Madame Bussy Genevois Danielle, professeur d’espagnol. Le
diplôme que j’ai préparé sous sa direction a été pour moi une véritable
initiation à la langue et à la civilisation hispanique. Les Professeurs :
Mohamed Arkoun, André Miquel, Jamel Eddine Bencheikh -que j’ai eu la chance et
l’honneur de travailler sous leur direction- leurs conseils généreusement
prodigués ont largement contribués à élargir les horizons de ma réflexion. Mes
remerciements également à Henry Laurens professeur au Collège de France qui a
dirigé cette thèse, et dont la sérénité
et la richesse de nos échanges furent des plus fructifiant.