Nos cliniques marocaines peuvent ce targuer de cet exploit inégalable, qui leur assure leurs lettres de noblesse, même si les méchantes langues parlent de lettres de bassesse. Que l’on s’arrête un seul instant sur ce palmarès qui donne le vertige. Des surfacturations qui donne le tournis. Des chèques de garantie illégaux, imposés à des fins de chantage. Un scalpel qui fonctionne avec les jongleries d’un virtuose, hors pair. Refus systématique de délivrer des factures détaillées et signées.
Absence totale d’informations transparentes sur les prestations. Le recours systématique à des opérations chirurgicales pour extraire un mal, qui n’existe que dans les interstices frauduleux, d’une comptabilité alambiquée. En un mot, la déontologie, on s’en tamponne. !
Ainsi, le Maroc est le pays où le taux de césarienne est le plus élevé. Le spéculum, paraît-il, n’a jamais été superflu que dans le pays du soleil couchant. Il est vrai que c’est plus affriolent que d’écarter les jambes et les parois d’un trésor, mais à quoi bon, s’il y a une autre voie plus fructueuse, suscitant ainsi une réelle jadba et une enivrante extase.
Dans les salons de Casablanca circule cette anecdote, aussi savoureuse, que salée : un homme souffrant d’on ne sait quel mal, se rendit à une clinique. Le médecin ne diagnostiqua aucun mal, mais cela ne l’empêcha pas pour autant de l’anesthésier, séance tenante et de l’opérer. L’homme, en se réveillant le lendemain, constate que son pénis est recouvert d’un pansement humide, intrigué, il interroge l’infirmière. Quelle fut sa surprise, en apprenant que bien que le chirurgien ne lui a décelé aucun mal, mais tout en l’auscultant, il découvrit, que lors de sa circoncision, lorsqu’il était enfant, l’ablation totale du prépuce a été mal faite. Alors, conscience oblige, il fut donc contraint de lui refaire sa circoncision, selon les règles de l’art.
Pire que cette circoncision, il y a l’excision de l’âme quand on sait que le pauvre patient est sommé de débourser, la somme astronomique, de dix à quinze milles dirhams pour chaque jour passé dans ce ce lieu de la géhenne. Cet enfer, où les médecins ne sont plus que les gardiens imperturbables de sa grotte. Ce n’est pas le prix d’un palace cinq étoiles. Ce sont des milliers d’étoiles, qui vont crépiter comme des popcorns sur le front du malheureux patient. Tellement étourdi, qu’il ne sait à quel saint se vouer. Au comble de l’angoisse, il s’interroge : est-il un bouc émissaire ? Ou un veau d’or ? Ou tout simplement le dindon de la farce ?
Nous sommes là, en pleine période coloniale qui usait et abusait du terme : « faire suer le burnous ». La seule différence est qu’ici, on fait suer, non seulement, le burnous, mais également la djellaba et les babouches ! Et comme tout cela ne suffit pas, on va retrouver les proches du malheureux patient pour les dépouiller à leur tour, jusqu’à la nudité complète.
Tout passe burnous, chokkara et Mejdoul !
Entre nous et nos cliniques, il n’y a ni quiproquo, ni mésentente. Pire, il y a plutôt ressentiment, rage, et indignation. Voilà pourquoi cette émission radiophonique va nous fournir, non pas l’occasion d’une réconciliation, loin s’en faut, mais plutôt les réponses à nos angoissantes questions.
Pourquoi un tel intérêt pour cette émission ? Pour la simple raison que la pandémie est là. On tambourine à nos portes. Nous sommes saisis de terreur, nous ne savons que faire, ni que dire. Allons-nous ouvrir ? Il est fort possible que ce soit un proche parent. Il se peut également que ce soit le monstre, avec sa faucille prête à nous trancher les poumons. Il se peut que se soit un ambulancier qui vient nous cravater, nous attraper par la nuque et nous projeter entre les griffes de ces aigrefins, qui ne sont là que pour nous gruger à satiété. Cette émission va donc dissiper nos angoisses. Voilà les invités. Deux médecins parfaitement dressés sur leurs séants. Ils jouissent déjà de toute notre sympathie.
Seul rayon de lumière : Fathia El Aouni |
Certes, il y a l’information et la communication. Or, dans ce discours, l’information est erronée, la communication n’est que parade et ostentation : « le ministre m’a dit, j’ai dit au ministre, le ministre m’a appelé ! ». Nous aurions aimé entendre la moindre empathie, la moindre justification de ces sommes astronomiques arrachées à des gens, souvent démunis !
Ces hommes ne renvoient nullement au médecin : humain, compatissant et bienveillant qui nous rassure. Non, ils renvoient plutôt à ce paysan indécrottable, qui nous dit que face à la peste, il préférerait voir mourir son épouse, que sa sémillante et laiteuse vache. En lieu et place d’une information éclairante, nous avions eu droit à une avalanche de formules qui font sourire le plus triste des carpeaux.
De toute cette logomachie, nous gardons en tête cette phrase hautaine et sentencieuse : « nous ne sommes pas là, pour soigner la misère des Marocains ». Nous avalons notre salive et ces effarantes insanités avec. Nous ne pouvons ni zapper, ni détourner le regard. Pourquoi ? Tout cela n’est-il pas en rapport direct avec ce que pourrait nous réserver un sort funeste ?
L’un d’eux, nous dit en substance avec un aplomb glacial : « c’est Rabat qui règle la misère des Marocains ». Comme pour nous rappeler qu’il n’est pas un médecin, qu’il est juste un technicien qui « règle » ce qui tombe en panne ! Nous comprenons alors que les cliniques, de même que leur comptabilité, fonctionnent selon un plan infaillible. Les médecins ne sont à leur tour que des aiguilleurs infaillibles. Une telle rationalité de marbre astiqué, aussi froide qu’avide, nous assomme à coup de triques.
Terrorisés, nous sommes restés tétanisés, muets comme des carpes pendant que nos savants patentés jargonnaient à leur aise. Nous les écoutions religieusement, fascinés par une laïcisation sonnante et trébuchante, qui piétine de fond en comble nos valeurs religieuses. Celles-là même qui constituent le socle de notre existence. Ces valeurs ne sont-elles pas : l’entraide, l’empathie, la fraternité généreuse, le sacrifice, l’humilité, la vertu, l’abnégation….
"Voyons, voyons cher ami, tu viens de confier ton âme à un glouton vorace qui se présente sous les dehors louables d’un faqih pieux. Ne vois-tu pas que son avidité est proverbiale et tu t’attends à ce qu’il t‘offre les clefs du paradis et de la santé ?"
En lieu et place de tout cela, nous avions eu droit à un discours se drapant des oripeaux d’une modernité fallacieuse, où l’égo hypertrophié et l’autosuffisance l’emportent sur nos petites misérables considérations éthiques.
Ne sommes-nous pas le troupeau ? Alors, pourquoi nous n’applaudissons pas ? Ne sommes-nous pas là pour être tondus et grugés ? Pourquoi ne pas adopter l’attitude de poules mouillées face au super coq, celui qui se pavane, tout en arborant haut et fort sa crête dentelée de rasoirs et de bistouris. Aurions-nous d’autres choix que de nous aplatir sous sa houlette, délicieusement étouffante ?
Serment d’Hippocrate ? Oui, mais que dit Brel !
Doit-on rappeler à nos professeurs que le médecin est tout fait autre chose. Dans notre culture arabe, c’est le Tabib, de Tatbib (guérison et apaisement). C’est également, le Hakim dont le champ sémantique embrasse Hikma (sagesse), Hukm (autorité), Hakam et Hakama (arbitre et arbitrage). Le Hakim n’est donc pas ce technicien inculte, mais une autorité morale et scientifique, qui soigne certes le corps, mais également l’âme. Nous sommes en pleine culture arabe, cette même culture qui a enjambé la méditerranée, afin d’apporter sa lumière à l’occident, pour que médecine et médecins puissent aller de l’avant, le serment d’Hippocrate en bandoulière.
Voilà pourquoi nous sommes plus que scandalisés, devant ce discours qui saccage un héritage, qui transgresse une sacralité. Un discours qui exécute cette danse macabre devant ce sillon de larmes, de deuils et de peines de tous ceux et celles, que le malheur a précipités entre les griffes de ces rapaces, qui ne sont-là que pour se repaître de la proie et se réjouir de l’hécatombe.
Nos professeurs n’en ont cure, pontifiant à l’infini. L’un d’eux, n’est-il pas cancérologue de son état ? N’a-t-il pas le pouvoir de guérir les scrofuleux, rien qu’en les touchant ? N’a-t-il pas la Baraka ? Voilà pourquoi, il est intarissable, pourtant à un moment donné, il perd de sa superbe devant les questions pertinentes de la brillante journaliste. Il réalise alors qu’il perd la partie et que ces mensonges ne sont pas cousus de fil blanc, mais de corde de pendaison de la vérité. Il ne peut plus ni esquiver, ni botter en touche. Il claqua la porte avant de lancer sur un ton exaspéré : « je coupe l’émission » !
A-t-il senti que ses phrases rituelles sont devenues littéralement scabreuses ? Comment expliquer une telle désinvolture et un tel égoïsme tranquille ? Le grand Brel a déjà répondu : « Faut vous dire Monsieur, que chez ces gens là, on n’vit pas monsieur, on triche. Chez ces gens là monsieur on compte ». En effet, chez ces gens là monsieur, on amasse et on brasse.
Le seul rayon de lumière dans ce tunnel de l’absurde est cette brillante journaliste, Fathia El aouni, dont les tentatives de ramener ses brebis galeuse à ses beaux pâturages sont demeurées vaines. Mais, sa présence nous rassure, nous rappelant que l’intelligence généreuse est bien là, et qu’enfin, c’est cela qui finira par l’emporter face à la bêtise.
Ahmed Ben Bannour