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dimanche 2 août 2020

Une cathédrale qui brûle, un homme qui se consume, et un silence assourdissant


Pourquoi la vue d’une église qui brûle, me bouleverse au plus profond de moi même ? Pourquoi cela me donne le sentiment que quelque chose, brûle en moi ? Comment cela, alors que je m’appelle Ahmed ? Une explication consiste à creuser en moi, déterrer cet univers de signes, de symboles, de sémantique que je partage avec « les gens du livre » Ahl Alkitab, c’est à dire, chrétiens comme juif.



Pourtant, une telle démarche mi- théologique, mi- rationnelle ne me satisfait guère. Voilà pourquoi, je dois creuser encore davantage. Oh ! Surprise quelque chose surgit : en effet, brûler une église, c’est transgresser ce sacré profondément enfui en nous. Ce tabou propre à nos grandes religions et auquel nous tenons, comme à la prunelle de nos yeux, puisque c’est là, que réside une référence, une identité partagée, une croyance en un même Dieu. Bref, ce sont là, les fondements qui nous rassurent et nous garantissent que le ciel, ne s’effondrera jamais sur nos têtes.

En effet, brûler une église, porter atteinte à une mosquée, saccager une synagogue, c’est cracher sur ma mère. C’est blesser l’humanité en moi, c’est me priver de cet universel, de cette chaleureuse fraternité de la foi.

Cela fait mal, un patrimoine de l’humanité qui brûle. Cela nous rappelle les siècles obscurs où la civilisation se trouva ravagée par des hordes barbares. Mais de grâce, ne nous laissons pas aveuglés par cette fumée âcre et épaisse, qui nous empêche de voir cet autre incendie, de cet autre patrimoine, qui brûle également devant nos yeux. Il s’agit cette fois-ci, du patrimoine Homme, cet homme, quantité négligeable, que l’on sacrifie sur l’autel d’un égoïsme clérical et identitaire.

Mais qui est cet homme ?
Cet homme, qui a osé l’impensable, qui a enclenché ce feu de la géhenne, qui est-il ? Personne jusqu’à maintenant ne s’est interrogé sur son sort, les quelques bribes que nous avons grappillé, ça et là, dressent le portrait d’un itinéraire, d’une misère, d’une angoisse. Un homme venu tout droit de cette tribu en voie de disparition, celle des damnés de la terre.
  
Nous savons que l’homme est chrétien, qu’il s’appelle même Emmanuel, comme notre Cher Président- au grand désespoir des identitaires qui auraient souhaité ardemment qu’il soit musulman- nous savons qu’il vient d’un pays africain dévasté par la misère. Nous savons qu’il est arrivé après avoir bravé tant de dangers et surmonter tant de difficultés, avant d’atterrir dans ce pays de cocagne, qui est la France. Ne s’agit-il pas du pays des droits de l’homme ? Voilà pourquoi dès le lendemain, avec un enthousiasme sans égal, il retrousse ses manches pour l’accomplissement des tâches les plus ardues, les corvées les plus pénibles. Sauf que voilà, ce dont il a le plus besoin, c’est être en parfaite légalité avec les lois de la république.

Hélas, sur ce plan toutes les portes sont closes. Dans ce moment de désespoir, il réalise qu’il ne lui reste que la grande et vénérable porte de la maison de Dieu. N’est il pas chrétien ? Y-a-t-il d’autres que ses frères, qui peuvent lui tendre une main généreuse ? Sans la moindre hésitation, il frappe à la porte en question. Il est bien accueilli, et il propose ses services. Homme à tout faire. Le père et les frères lui souhaitent le bienvenu dans sa nouvelle famille et le chargent de tout un tas de besognes, qu’il accomplit avec joie.

Il s’engage comme bénévole, c’est à dire sans contre partie salariale. Il s’occupe des tâches ménagères et des courses. Il est tellement dévoué, qu’il a gagné la confiance du recteur qui ne tarde pas à lui confier les clefs de l’église.

Plusieurs années passent et l’homme ne voit pas le bout du tunnel. Ce bénévolat ne semble jamais prendre fin, et il sait qu’il est toujours dans une situation irrégulière. Malade, il ne peut même pas se rendre à l’hôpital, se faire soigner faute de papiers. Il sait même que les autorités lui ont signifié qu’il doit plier bagage. Il se plaint auprès de la direction de l’église, mais celle-ci, tout à son sacerdoce n’en a cure.

L’église a largement les moyens d’intervenir, mais elle ne bouge pas le petit doigt. Pourquoi ? Certaines mauvaises langues avancent que l’institution en question ne s’intéresse pas au sort de son bénévole, pour la simple raison, qu’elle n’en tire que désavantage. La régularisation de son bénévole, ne peut qu’affranchir l’esclave de cette dépendance, et lui offrir les ailes pour voler ailleurs.

Voilà un procès d’intention, que nous ne permettons jamais d’intenter contre cette vénérable cathédrale, dont la charité chrétienne se confond avec la foi.

Hospitalité dites vous ?
Un journaliste parle d’un « étranger irrégulier » et sa façon de remercier l’hospitalité française ! Drôle d’hospitalité, qui d’une main accorde le gite et le couvert, et d’une autre main maintient la victime entravée, pour mieux la vider de sa substance.

Tout de même, des questions demeurent sans réponse, nous taraudent. Seul le coupable est en mesure de nous sortir de l’embarras. Hélas, celui-ci se réfugie dans un silence si assourdissant, qu’on s’interroge si ce silence ne lui est-il pas imposé ? Parler, rime avec dénuder, par contre, se taire c’est dissimuler ce qui suscite l’indignation.

Mais quel que soit l’écran de fumée, nous sommes en présence de tout un ensemble d’ingrédients qui se rejoignent, s’unissent, s’enlacent pour exploser et embraser une église, qui se trouve à son corps défendant, cautionnant non pas la loi d’airain de subsistance, mais la loi d’une vassalité moyenâgeuse. Qui est à mille années lumière de la loi républicaine.

On serait tenté de s’interroger, pourquoi cet homme n’a-t-il pas pris le temps de réfléchir avant de commettre l’irréparable. Mais réfléchir, n’est il pas un acte de confort ? Comment demander à réfléchir à un homme méprisé, humilié dont la dignité est bafouée ? Comment demander à réfléchir à un homme qui vit sous l’épée de Damoclès d’une expulsion appelée « obligation de quitter le territoire » qui allait le jeter comme un malpropre, dans son village lointain où il arriverait avec les mains vides et le cœur débordant de rancunes.

Un acte de catharsis !
Il se voit déjà après tant d’années de sacrifice, de dévouement, de sale bénévolat. Il se voit dans son village, ne sachant quoi dire, ni comment expliquer un tel naufrage. Et cet atterrissage forcé en pleine boue, sans le sou, sans le moindre cadeau ! Comment répondre aux questions de sa pauvre famille, celle de ses pauvres frères et sœurs démunis. Brûler l’église ce n’est nullement prendre une revanche. C’est tout simplement brûler sa honte ? C’est tout simplement se livrer à un acte de catharsis !

Le patrimoine homme, dont nous avons parlé au début de cet article, c’est ce legs de dignité, dont chaque homme est dépositaire. Ce désir d’intégration, de faire partie d’une communauté. C’est ce rêve d’ascension, de s’affirmer et s’accomplir en se libérant. Bref, tant d’éléments qui brûlent en même temps que l’église, mais que l’on ne voit pas, puisqu’il n’y a ni fumée ni odeur. Il n’y a que l’homme qui se consume dans son petit coin, devant ses frères qui ne daignent ni le reconnaître ni l’intégrer.

L’homme accablé par un crime qui l’enrobe dans son tourbillon, et pourtant il jure ses grands dieux qu’il ne l’a jamais commis. Est -il un menteur pour autant ? Non, la pauvreté, tout court, est synonyme de la pauvreté d’un vocabulaire.     

Comment ne pas relever que dans cet événement se concentre l’essentiel du drame humain. Est-ce cela qui incitent certains auteurs de certains éditoriaux d’habitude si bavards, si sentencieux, à se terrer. N’on-il pas eu l’intuition d’une blessure qui gangrène. Voilà, ce qui explique ce faux fuyant, ce silence complice. Bref, tout ce qui démontre une gêne et un embarras qui renvoient à l’âme humaine et ses tourments, face à une vérité dont les étincelles menacent de brûler la conscience.