Pourquoi
la vue d’une église qui brûle, me bouleverse au plus profond de moi même ?
Pourquoi cela me donne le sentiment que quelque chose, brûle en moi ? Comment
cela, alors que je m’appelle Ahmed ? Une explication consiste à creuser en
moi, déterrer cet univers de signes, de symboles, de sémantique que je partage
avec « les gens du livre » Ahl Alkitab, c’est à dire, chrétiens comme
juif.
Pourtant,
une telle démarche mi- théologique, mi- rationnelle ne me satisfait guère. Voilà
pourquoi, je dois creuser encore davantage. Oh ! Surprise quelque chose
surgit : en effet, brûler une église, c’est transgresser ce sacré
profondément enfui en nous. Ce tabou propre à nos grandes religions et auquel
nous tenons, comme à la prunelle de nos yeux, puisque c’est là, que réside une
référence, une identité partagée, une croyance en un même Dieu. Bref, ce sont là,
les fondements qui nous rassurent et nous garantissent que le ciel, ne
s’effondrera jamais sur nos têtes.
En effet,
brûler une église, porter atteinte à une mosquée, saccager une synagogue, c’est
cracher sur ma mère. C’est blesser l’humanité en moi, c’est me priver de cet
universel, de cette chaleureuse fraternité de la foi.
Cela
fait mal, un patrimoine de l’humanité qui brûle. Cela nous rappelle les siècles
obscurs où la civilisation se trouva ravagée par des hordes barbares. Mais de
grâce, ne nous laissons pas aveuglés par cette fumée âcre et épaisse, qui nous
empêche de voir cet autre incendie, de cet autre patrimoine, qui brûle
également devant nos yeux. Il s’agit cette fois-ci, du patrimoine Homme, cet
homme, quantité négligeable, que l’on sacrifie sur l’autel d’un égoïsme
clérical et identitaire.
Mais qui est cet homme ?
Cet
homme, qui a osé l’impensable, qui a enclenché ce feu de la géhenne, qui est-il ?
Personne jusqu’à maintenant ne s’est interrogé sur son sort, les quelques
bribes que nous avons grappillé, ça et là, dressent le portrait d’un itinéraire,
d’une misère, d’une angoisse. Un homme venu tout droit de cette tribu en voie
de disparition, celle des damnés de la terre.
Nous
savons que l’homme est chrétien, qu’il s’appelle même Emmanuel, comme notre Cher
Président- au grand désespoir des identitaires qui auraient souhaité ardemment
qu’il soit musulman- nous savons qu’il vient d’un pays africain dévasté par la
misère. Nous savons qu’il est arrivé après avoir bravé tant de dangers et
surmonter tant de difficultés, avant d’atterrir dans ce pays de cocagne, qui
est la France. Ne s’agit-il pas du pays des droits de l’homme ? Voilà
pourquoi dès le lendemain, avec un enthousiasme sans égal, il retrousse ses
manches pour l’accomplissement des tâches les plus ardues, les corvées les plus
pénibles. Sauf que voilà, ce dont il a le plus besoin, c’est être en parfaite
légalité avec les lois de la république.
Hélas, sur
ce plan toutes les portes sont closes. Dans ce moment de désespoir, il réalise
qu’il ne lui reste que la grande et vénérable porte de la maison de Dieu. N’est
il pas chrétien ? Y-a-t-il d’autres que ses frères, qui peuvent lui tendre
une main généreuse ? Sans la moindre hésitation, il frappe à la porte en
question. Il est bien accueilli, et il propose ses services. Homme à tout
faire. Le père et les frères lui souhaitent le bienvenu dans sa nouvelle
famille et le chargent de tout un tas de besognes, qu’il accomplit avec joie.
Il
s’engage comme bénévole, c’est à dire sans contre partie salariale. Il s’occupe
des tâches ménagères et des courses. Il est tellement dévoué, qu’il a gagné la
confiance du recteur qui ne tarde pas à lui confier les clefs de l’église.
Plusieurs
années passent et l’homme ne voit pas le bout du tunnel. Ce bénévolat ne semble
jamais prendre fin, et il sait qu’il est toujours dans une situation
irrégulière. Malade, il ne peut même pas se rendre à l’hôpital, se faire
soigner faute de papiers. Il sait même que les autorités lui ont signifié qu’il
doit plier bagage. Il se plaint auprès de la direction de l’église, mais celle-ci,
tout à son sacerdoce n’en a cure.
L’église
a largement les moyens d’intervenir, mais elle ne bouge pas le petit doigt. Pourquoi ?
Certaines mauvaises langues avancent que l’institution en question ne
s’intéresse pas au sort de son bénévole, pour la simple raison, qu’elle n’en
tire que désavantage. La régularisation de son bénévole, ne peut qu’affranchir
l’esclave de cette dépendance, et lui offrir les ailes pour voler ailleurs.
Voilà un
procès d’intention, que nous ne permettons jamais d’intenter contre cette
vénérable cathédrale, dont la charité chrétienne se confond avec la foi.
Hospitalité
dites vous ?
Un
journaliste parle d’un « étranger irrégulier » et sa façon de
remercier l’hospitalité française ! Drôle d’hospitalité, qui d’une main
accorde le gite et le couvert, et d’une autre main maintient la victime
entravée, pour mieux la vider de sa substance.
Tout de
même, des questions demeurent sans réponse, nous taraudent. Seul le coupable
est en mesure de nous sortir de l’embarras. Hélas, celui-ci se réfugie dans un
silence si assourdissant, qu’on s’interroge si ce silence ne lui est-il pas
imposé ? Parler, rime avec dénuder, par contre, se taire c’est dissimuler
ce qui suscite l’indignation.
Mais quel
que soit l’écran de fumée, nous sommes en présence de tout un ensemble
d’ingrédients qui se rejoignent, s’unissent, s’enlacent pour exploser et
embraser une église, qui se trouve à son corps défendant, cautionnant non pas
la loi d’airain de subsistance, mais la loi d’une vassalité moyenâgeuse. Qui
est à mille années lumière de la loi républicaine.
On
serait tenté de s’interroger, pourquoi cet homme n’a-t-il pas pris le temps de
réfléchir avant de commettre l’irréparable. Mais réfléchir, n’est il pas un
acte de confort ? Comment demander à réfléchir à un homme méprisé, humilié
dont la dignité est bafouée ? Comment demander à réfléchir à un homme qui
vit sous l’épée de Damoclès d’une expulsion appelée « obligation de
quitter le territoire » qui allait le jeter comme un malpropre, dans son
village lointain où il arriverait avec les mains vides et le cœur débordant de
rancunes.
Un acte de
catharsis !
Il se
voit déjà après tant d’années de sacrifice, de dévouement, de sale bénévolat. Il
se voit dans son village, ne sachant quoi dire, ni comment expliquer un tel
naufrage. Et cet atterrissage forcé en pleine boue, sans le sou, sans le
moindre cadeau ! Comment répondre aux questions de sa pauvre famille,
celle de ses pauvres frères et sœurs démunis. Brûler l’église ce n’est
nullement prendre une revanche. C’est tout simplement brûler sa honte ? C’est
tout simplement se livrer à un acte de catharsis !
Le
patrimoine homme, dont nous avons parlé au début de cet article, c’est ce legs
de dignité, dont chaque homme est dépositaire. Ce désir d’intégration, de faire
partie d’une communauté. C’est ce rêve d’ascension, de s’affirmer et s’accomplir
en se libérant. Bref, tant d’éléments qui brûlent en même temps que l’église,
mais que l’on ne voit pas, puisqu’il n’y a ni fumée ni odeur. Il n’y a que
l’homme qui se consume dans son petit coin, devant ses frères qui ne daignent
ni le reconnaître ni l’intégrer.
L’homme
accablé par un crime qui l’enrobe dans son tourbillon, et pourtant il jure ses
grands dieux qu’il ne l’a jamais commis. Est -il un menteur pour autant ?
Non, la pauvreté, tout court, est synonyme de la pauvreté d’un vocabulaire.
Comment
ne pas relever que dans cet événement se concentre l’essentiel du drame humain.
Est-ce cela qui incitent certains auteurs de certains éditoriaux d’habitude si
bavards, si sentencieux, à se terrer. N’on-il pas eu l’intuition d’une blessure
qui gangrène. Voilà, ce qui explique ce faux fuyant, ce silence complice. Bref,
tout ce qui démontre une gêne et un embarras qui renvoient à l’âme humaine et
ses tourments, face à une vérité dont les étincelles menacent de brûler la
conscience.