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lundi 12 décembre 2022

Non M. Aymeric, le couscous tue !


Rater un tel moment, c’est rater son propre rendez-vous avec une étincelle qui vous éclaire d’un jour nouveau. En effet, j’ai raté cette émission, que j'ai regardée en décalé. Et je l’avoue, je n’étais pas déçu. De quoi s’agit-il ?  Apolline de Malherbe recevant Aymeric Caron. La discussion va bon train avec une spontanéité, ponctuée de coup d’éclat, qui ne laisse pas indifférent.


Les nouveaux musulmans
mais le couscous ne tue personne

Aymeric protestant contre une corrida qui ne fait « nullement partie de la tradition française ». Apolline saisit au vol cette réponse et lui rétorque pertinemment : « ce n’est pas bien les traditions qui viennent d’autres pays ? Le couscous n’est pas une tradition française au départ !». L’homme politique n'est nullement ébranlé, répond d’une phrase laconique, qui clôt le débat : « mais le couscous ne tue personne !».

Étant Musulman, je m’invite à ce débat et de prime abord, je proteste. Non M. Aymeric, contrairement à ce que vous dites, le couscous tue et avec une efficacité redoutable. On peut même dire qu’il a pris, dans certaines circonstances, la relève de la guillotine. N’est-il pas la hantise des préjugés égocentriques ? Ne les décapite-t-il pas cruellement ? N’a- t-il pas réduit en lambeau tout un parti politique, qui s’est baptisé «Reconquête»? La grosse tête de son patron, ne s’est-elle pas rétrécie jusqu’à n’être plus, que pois chiche ?

Si ce monsieur est aujourd’hui en rade, si cette taloche encaissée est si cinglante qu’elle l’a laissé groggy, s’il a accouché d’une grosse branlée, c’est parce que le couscous l’a mis K.O. En votant massivement pour le faire tomber en ruine ! Il n’en est pas mort certes, mais qui nierait qu’il soit agonisant ? Les médecins à son chevet ont diagnostiqué avec une précision microscopique le mal dont il souffre. Il a le couscous en travers de la gorge. Voilà pourquoi il suffoque. Il pète des flacons de neige, en guise de feu. Il pétarade. Trépassant certes, mais la dernière information divulguée par ses acolytes, révèle que : «le couscous est désormais doté d’une arme redoutable, qui s’appelle merguez. Celui-ci,  avance à son tour drapé de son burnous de conquérant, prenant d’assaut nos boucheries et rêvant de les nettoyer de leurs exécrables charcuteries. Tout en gravant sur leurs frontons, le mot Halal, en arabesque».

Ainsi parla le couscous

Le couscous rit aux éclats devant un Zemmour médusé, en l’interpellant : « lequel d’entre nous doit endosser le label,  Reconquête ?». Toutefois, le couscous continue sur sa lancée : « ma reconquête à moi, n’est pas la vôtre. La mienne est une reconquête de la dignité, une affinité et communion, un brassage et vitalité, un rayonnement de toutes ces âmes qui s’enlacent, qui s’unissent dans une communion joyeusement républicaine.  Votre reconquête, à vous, n'est autre que la Reconquista de la honte. Ce vocable, que vous avez tiré des cendres encore fumantes de la sinistre inquisition : l’expulsion manu militari des Musulmans et des Juifs de l’Espagne. Votre «Reconquête» exhale les émanations de ces blessures, aussi musulmanes, que juives, mais unies dans le même brasier de la souffrance et du malheur. Ces corps à qui fut infligé le supplice du bucher, ne commirent-ils pas le crime de lèse-majesté Isabella Católica, en refusant fièrement d’abjurer leur foi et de se prosterner servilement devant l’infâme ? ».

Quand un mets exotique s’autochtonise !

Le couscous avant de devenir une tradition française, il n’était qu’un mets exotique, objet de toutes sortes de curiosités. Mais, l’exotisme n’est-il pas l’inhabituel ? N’est-il pas une invitation à serrer d’autres mains, d'autres couleurs, d'autres sensibilités différentes ? Ne s'agit-il pas de l’étonnement, s’embarquant pour scruter d’autres cieux, secouant ainsi un imaginaire et déliant un cocon ? La restructuration de l’intime n'annonce-t-elle pas une norme qui flanche et un sentiment qui se libère ?

Hannah Arendt ne nous a-t-elle pas appris que le fascisme, comme le totalitarisme et comme la théocratie, ne peuvent être astreints à la dimension purement politique. Mais, ils étendent leur pouvoir hégémonique à la sphère du privé, en restructurant les mœurs et les goûts. Et c’est là, qu’est intervenu un mets exotique, qui remodèle les goûts, qui flatte l’olfactif autrement et qui remet en cause la perception dévalorisante, de l’autre !  De manière inattendue, le couscous se trouve investi d’une mission inattendue : un rire tournant en dérision la bêtise. Un véritable pied-de-nez aux stéréotypes désuets. En un mot, c’est une autre façon de représenter, de déguster donc une autre façon d’aimer.

 Le couscous terroriste !

C’est dans ce contexte que les Français se sont mis à rire de ces curés de la sainte inquisition, qui mettent en garde contre le couscous puisque ses courgettes, ses navets, ses carottes ne sont que de petites bombes et de petits bâtons de dynamite, sournoisement dissimulés, dans la semoule pour pulvériser la suprématie d’un palais et la sacralité d’un nombrilisme !

Mais, avant qu’il ne soit terroriste, les Français se rappellent que le couscous est enraciné dans la réalité française. Bien que découvert, lors de l’aventure coloniale, il demeura cantonné dans la sphère des échanges entre notables locaux et élite coloniale. Ce sont les immigrés maghrébins, qui l’apportèrent avec eux dans leurs paquetages, lors de leurs pérégrinations. Ce sont, eux, qui vont lui donner ses lettres de noblesse, lui assurant ainsi une large diffusion à travers leurs restaurants et une bombance teintée d’une chaleureuse convivialité.

Au départ, le couscous est arrivé dans ce pays comme un produit arabe. Un produit de colonisé, une sorte de contrebande. Il ne se montrait pas. Il se dissimulait. Il s’excusait d’être là. Mais, confiant et sûre de la qualité enivrante de ses grains qu’il semait généreusement à tout vent. Il ne cessa de frayer inexorablement son chemin jusqu’à, se retrouver couronné «Plat préféré des français», au grand dam de ces pisseurs de vinaigre. Ceux, qui se recroquevillent sur l’acidité insipide d’une identité rabougrie et fadasse.

Quelle fabuleuse ascension ! Mais n’avons-nous pas toutes les raisons historiques de souligner que cet exploit ne pouvait être dissocié de l’ascension de l’immigré, lui-même ? En effet, ce dernier qui se cachait, rasait les murs, subissant les foudres d’un racisme lâche et abject. Ce même immigré, refusant avec véhémence de se reproduire à l’identique, ne tarda pas à se métamorphoser. Le voilà donc qui change de peau, de caboche, d’espace et de hiérarchie. Le voilà, grimpant du bas de l’échelle sociale. N'est-il pas médecin, ingénieur, directeur, patron, journaliste, écrivain, etc. ? Aujourd'hui, ne joue-t-il pas dans la cour des grands? Ne fait-il pas partie des champions du monde ?

 

Le couscous tue!

Et qu'en est-il de la fatma. Cette image si chère à certains nostalgiques d'une ère coloniale. Celle, qui ne savait justement que préparer ce damné couscous. Cette éternelle femme de ménage. La voilà, à son tour personnalité distinguée. On la découvre parfois brillante ministre, souvent grand cadre, influenceuse, enclenchant sur son passage les fantasmes, les plus enflammés.

Pour conclure, le couscous tue. Il est accusé d'avoir tué le porc en l’étouffant dans son gras, de même que la saucisse est désignée comme victime innocente, qui a subi les coups de boutoir de sidi merguez qu'Allah lui accorde longue vie.

Cher Aymeric, voilà ce que j’ai à dire, pour instruire de ma réaction de Musulman, au risque de vous contredire. Comment oserais-je une telle insolence face à un homme qui a conclu un pacte avec la lumière, pour ne délivrer qu’un message de lumière ? N’est-ce pas que c’est grâce à cette lumière, que ce pays brille de tous ses feux ?

Ahmed Ben Bannour