Depuis le règne incontesté du
Coronavirus, un personnage haut en couleur, que l’on appelle : « mondialisation »,
s’invite à notre table. Il est là, dans nos verrine de l’apéro au dessert, et
même au delà, confinement oblige. Mais à quelque chose malheur est bon.
Une telle présence nous
impose à interroger et à scruter notre hôte sous toutes ses coutures. Car
quelque chose a changé, notre regard habituel de complicité, s’évanouit pour
glisser vers la consternation, et ensuite, à l’indignation. Tout en le
redécouvrant nous découvrons notre myopie, voir notre cécité. Il est vrai, que
souvent, nous ne pouvons regarder ce que nous avons sous le nez, de crainte de
voir le sol se dérober sous nos pieds. Cocteau, nous dit à juste titre : souvent
nous préférons vivre aveugles, jusqu’à ce qu’une vérité éclatante nous crève
les yeux.
Quel est ce processus qui a
conduit à cette reconversion du regard ? Est-ce l’épidémie qui éveille la
conscience soudaine d’un danger imminent ? Est-ce la lâcheté qui atteint
le bout de l’abîme ? Est-ce notre humanité piétinée, blessée qui resurgit
et nous demande des comptes ?
N’avions-nous pas intériorisé
tous les ingrédients du bonheur ? La mondialisation n’était-elle pas
la chute des frontières entre les hommes ? Une circulation des idées à tous crins ? Un humanisme sans rivage,
sans couleur, sans bigoterie intégriste ? N’était-elle pas le règne de l’homme
qui a fini par vaincre définitivement la scolastique cléricale et les
nationalismes étriqués ?
Le professeur Mohamed Arkoun, ce grand arpenteur de nos territoires perdus de la mémoire, s’est moqué un jour de ces tentatives désespérées : visant à durcir la notion Occident-Orient, tout à fait inacceptable sur le plan sémiotique. Il nous invite par la même occasion à méditer l’image métaphorique de l’olivier coranique « qui n’est ni d’Occident, ni d’Orient et qui illumine pourtant tout autour de lui ».
Le Coronavirus intervient avec
fracas pour nous révéler que tout cela n’est que l’envers d’un décor pitoyable.
Que cette mondialisation, n’est qu’un rouleau compresseur qui broie et les
hommes et les cultures. C’est l’homogénéisation et l'uniformisation et leur lot
d’appauvrissement. C’est un mode de pensée mortifère, drapé d’une soi-disant
liberté frelatée. C’est le consumérisme et la dégradation de l’environnement.
C’est la banquise en voie de désagrégation. C’est une humanité dont la survie est
sujette à caution.
La fin ne justifie-t-elle pas
les moyens ? Allons donc de l’avant pour
plus de richesse, plus de pouvoir et plus de pillage. Qu’importe les
conséquences climatiques et environnementales, la misère jointe à la famine ne
sont que bien méritées. Il ne faut en aucune façon avoir pitié des «culs-terreux ».
Un nouveau Mur à la place du
mur.
Lors de la chute du mur de
Berlin nous avions applaudi, n’étions-nous pas à l’orée d’une nouvelle ère annonçant
la fin du Parti unique et toute forme d’oppression ? Cependant, tout à
notre enthousiasme nous n’avions pas remarqué ce jour-là, qu’il y avait eu à
côté de nous, un personnage qui applaudissait avec plus d’ardeur. Nous avions
appris par la suite qu’il ne fut autre que le capital financier, qui se
présentait sous les oripeaux d’une liberté flamboyante. Tout en se considérant
comme l’héritier légitime du totalitarisme évanescent. À y voir de plus près,
c’est la plus gosse arnaque jamais survenue, au cours de ce pauvre siècle
ensanglanté par tant d’horreurs.
Il faut l’avouer, certains
d’entre nous ne manquaient pas de perspicacité, ni de vaillance. Ceux là même
qui ont entrepris, dès cet instant, de dénoncer cette mascarade. Ces troubles
fête suscitant ainsi l’indignation. Comment osent-ils gâcher la joie ?
N’est-il pas indécent de crier au loup, alors, que nous sommes dans un moment
festif ? Un moment de consensus unanimiste. Bien que nos valeureux sages
nous aient déjà enseigné que derrière toute forme d’unanimisme, il y a
forcément un flou qui dissimule un piège liberticide.
Cependant, il y a de quoi
nous désarçonner, ces ‘‘ troubles fête ’’ sont des intellectuels de renom, des
savants respectables, des journalistes intègres, des militants politiques
engagés qui n’ont jamais cessé de nous avertir, de nous mettre en garde : cette
mondialisation sauvage annonce la pauvreté ravageuse, les échanges
hyper-inégalitaires, la déforestation et le réchauffement climatique. Une
planète transformée en un super titanique qui tangue et menace de sombrer dans
un océan saturé de déchets aussi bien organiques que radioactifs.
Pendant ce temps, le nouvel
ordre mondial continue de tisser inlassablement sa toile d’araignée,
investissant ses pions de la plus haute fonction : un Trump, un Bolsonaro,
un Johnson, et même dans la lointaine Inde un énergumène prêt à exterminer les
Musulmans, chez lui, pour assouvir sa petite haine identitaire. Tous ces
leaders, dont la grossièreté n’a d’égale que l’ignorance crasseuse. Tous
ces « iron ass », selon une expression américaine, ont pour dénominateur
commun, l’absence affligeante de toute ossature intellectuelle. Un idéal du moi,
mégalomaniaque et narcissique, laissant penser qu’ils sont-là par élection
divine et qu’ils ont pour mission de raviver le feu sacré de la racialité.
Partout dans le monde, nous avons vu fleurir des
mouvements politiques chantant les louanges d’un capitalisme débridé. Des
courants de pensé émergeaient, dont les promoteurs s’autoproclamaient
philosophes, ou écrivains, et qui assumaient la tâche bénédictine de propager
la bonne parole identitaire, qui promeut la haine de l’autre, la supériorité de
la civilisation judéo-chrétienne, la beauté inégalable de la race blanche.
Jamais l’idéologie ouvertement raciste et discriminatoire ne s’était exprimée
avec autant d’arrogance.
C’est dans ce contexte
glauque, que le Corona fait irruption. Comme pour nous inviter à remettre en
cause ces certitudes obsolètes, ces clichés désuets, ces lieus communs
ressassées, ces simplifications abusives. C’est dans ce contexte, où les hyènes
rivalisant de ricanement avec divers charognards que le Corona fait son entrée
fracassante. Tout ce brouhaha cessa comme par enchantement, on réalise que le
pire ennemi de l’homme, c’est un certain homme qui étale son insuffisance, sa
cupidité insatiable, ses crimes de guerres ignobles. C’est à ce moment là, que
ces chefs suprêmes se révèlent cavaliers de l’apocalypse. Cependant, même
atteints dans leur narcissisme primitif, ils n’en démordent pas pour autant.
Ainsi, un certain Trump face à l’horreur, il a sa propre recette : rouvrir
l’économie et laisser le Corona faire son travail salutaire, qui n’est pas plus
qu’une vaporisation d’insecticide. Ne s’agit-il pas d’un châtiment divin, qui
s’apparente à une sélection darwinienne, qui nous débarrasse des faiblards, des
malingres au profit des plus productifs, des plus créatifs, des plus endurcis. Ceux
qui sont sans scrupules, et qui n’ont que faire des considérations morale.
Cependant notre Héro et à sa
grande surprise, n’arrive pas à convaincre. Voilà pourquoi il court, tel
un dératé dans tous les sens, il tire sur tout ce qui bouge. Il fulmine, il
menace. Ne sachant à quel Satan se vouer. C’est l’embarras d’un super
milliardaire d’entre les supers, qui n’avait tout au long de sa vie qu’à tendre
la main pour cueillir les lauriers de la gloire, ces mêmes lauriers qui lui
éclatent aujourd’hui au visage, comme les postillons de cet ennemi invisible
qui ne fait qu’une bouchée de ses victimes.
Quel modèle pour demain
Tout le monde s’accorde à
dire qu’il y a l’avant et l’après Corona. Alors qui prendrait les commandes
après ? Serait-ce la Chine, comme c’est partout suggéré ? Les peuples ne
sont pas dupes. Jamais, ils ne se laisseront prendre à l’appeau. Jamais, ils ne
se laisseront ensorcelés par ces chants de sirène. Jamais au grand jamais, ils
ne toléreront de courber l’échine devant une nouvelle hégémonie, quelle qu’elle
soit. Ces peuples comprennent qu’ils doivent prendre leur destinée en main, et qu’il
est temps de mettre un terme à la bigote confiance, dans la providence
historique ou théologique.
Ni la Chine, ni l’Amérique,
ni l’Orient, ni l’occident. Le Corona a mené admirablement son travail de sape et
de remise en cause. Le professeur Mohamed Arkoun, ce grand arpenteur de nos
territoires perdus de la mémoire, s’est moqué un jour de ces tentatives
désespérées : visant à durcir la notion Occident-Orient, tout à fait
inacceptable sur le plan sémiotique. Il nous invite par la même occasion à
méditer l’image métaphorique de l’olivier coranique « qui n’est ni d’Occident,
ni d’Orient et qui illumine pourtant tout autour de lui ». En effet, n’est
il pas salutaire de retrouver ce stock de signes et symboles qui constituent la
base cognitive et imaginaire de nos trois traditions : musulmane, juive et
chrétienne. N’est il pas le moment opportun de penser un nouveau modèle. S‘atteler
à écrire une nouvelle page de cette histoire que nous n’avons que trop tendance
à oublier, qu’elle est interdépendante et commune.
Notre sort est lié les uns
aux autres. Nos mutuelles différences sont un gage d’enrichissement réciproque.
Nous sommes arrivés à cette conclusion qui nous enseigne, que pour vivre, il
n’y a qu’une voie : celle de la justice. Par contre, pour mourir :
libre choix est laissé aux adeptes d’une bigote résignation.
Ahmed Ben Bannour