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jeudi 21 mai 2020

Le coronavirus, le musulman, le Trump et l’agneau


«Un bruit lugubre emplit la caserne Lobau. C’est le tonnerre ouvrant et fermant le tombeau ». (V. Hugo 1871)

 

«Reopen or not», c’est le dilemme shakespearien : «to be or not to be». C’est la question que se pose l’Amérique d’aujourd’hui. En temps normal, une Amérique qui s’enferme, était impensable. Cela ne signifierait qu’une chose : le pays renie un idéal, se vide de sa substance, se dévitalise et se meurt. Le multiculturalisme est le trésor inépuisable d’une Amérique victorieuse, intellectuellement, économiquement et artistiquement.

 
Ahmed Ben Bannour

Tout le mérite revient à Trump. N’est-il pas le seul qui a innové en la matière, en osant l’impensable. Les pères fondateurs doivent se retourner dans leurs tombes. C’est la première fois que l’Amérique renie l’essence de sa constitution, en fermant ses frontières à une communauté, bien particulière. Une telle décision rocambolesque va être secondée par une autre, encore plus ahurissante : la construction d’une muraille de chine, entre l’Amérique et le Mexique. Bien que ce pays, est non seulement sa véritable profondeur stratégique, mais surtout, une source inépuisable de main d’œuvre et de compétence.

 

Et pourtant, Trump ne marqua ni hésitation, ni doute, pour la prise de telles décisions. Et voilà que le coronavirus tombe à pic, pour lui donner raison. Les frontières sont closes, sans coup férir. Et ce n’est ni les musulmans, ni les mexicains qui sont bannis, mais toute l’humanité. Trump est au comble de l’extase, il contemple son beau nombril dans la bulle du confinement.

 

Tous ceux qui avaient tant critiqué l’homme, découvrent plus tard  qu’il possède incontestablement cette qualité exceptionnelle de visionnaire. N’est-il pas le premier, qui a ordonné la fermeture des frontières aux musulmans? N’est-il pas le premier a envisagé la construction du célèbre mur? N’est-il, donc pas le précurseur du confinement?

 
Ahmed Ben Bannour


Le diable ou le ver dans le fruit

Aujourd’hui, avec les cadavres qui s’entassent et les dizaines de millions de chômeurs qui s’accumulent, les horizons s’assombrissent. Le président vacille, il est à fleur de peau.  L’Amérique s’interroge : ce modèle de développement, n’est-il pas en train de vendre l’âme du pays au diable ? Que resterait-il  avec une telle incompétence, d’une puissance et d’un rayonnement qui a toujours fasciné le monde?

 

Hélas, aujourd’hui le ver est dans le fruit. Il s’agit d’un ennemi d’une nature tout à fait différente, le musulman à côté, n’est qu’une chanson douce, injustement assourdissante. En effet, ce qui n’était qu’un cauchemar de fiction, se transforme aujourd’hui avec le coronavirus, en diable avec cornes et queue et grotte qu’il entretient avec son souffle enflammé.

 

Et voilà que le président se ressaisit. Ne s’agit-il pas d’un visionnaire ? Il n’a confondu Islam, terrorisme et Islamisme que pour mettre en garde ses concitoyens, contre un méchant virus, qui s’apprêtait à faire son entrée de manière fracassante dans le pays. Après tout, les intentions malveillantes de l’Islam et des musulmans, n’allaient elles pas dans le même sens?

Ahmed Ben Bannour

 

Résolument islamophobe. Le président américain se situe, lui-même, dans une logique de choc des civilisations. Tout comme les géants, qui n’aiment livrer bataille qu’à leurs équivalents. Trump se sentit frustré, en ferraillant contre ces nains de musulmans. Et voilà que la volonté divine vole à son secours et lui envoie un adversaire à sa taille, qui porte le nom de Covid 19. Le président populiste est effondré, il ne cesse de se plaindre : «ou moins, le musulman je le voyais.».

 


Le nain et le géant

Quant à lui, le pauvre Musulman, tout en marquant sa stupéfaction devant ce défilé d’abjectes bigoteries, crie son indignation devant ce délire. Il dénonce cette démarche absurde, qui consiste à échafauder des projections sur lui, au lieu de l’inviter à un dialogue dissipant et malentendus et clichés. Il jure au nom d’Allah et même sur la tête de Jésus et de moïse, puisque sa religion les vénère. Il jure, donc qu’il n’a rien à voir avec le virus terroriste. Mais hélas, ses cris qui résonnent partout, ne suscitent qu’un écho inaudible.

 

 

Le virus lui-même ricane. Qui a pensé un seul instant que le choc des identités culturelles, sera un jour remplacé par le choc d’un virus. Faisant des ravages, en premier lieu, chez ces nations blanches. Ne considèrent-elles pas leur supériorité, leur raffinement comme étant objet de ressentiment instinctifs chez ces peuplades de ces contrés sauvages ? Face à de telles balivernes, le virus lance un rire sardonique, frappant sans distinction, circulant dans tous les pays. Il remplit sa besace au gré de ses pérégrinations. Il ne reconnaît aucune frontière, n’exerce aucune discrimination de couleur, de race, ou de religion.

 

 

Voilà pourquoi les identitaires lui vouent une haine féroce, non pas par ce qu’il tue, mais surtout par ce qu’il le fait sans aucune distinction : entre race blanche supérieure et race décadente arabe ou noire. Cette dernière ne devrait-elle pas être sa pâture par excellence ?

Ahmed Ben Bannour

 

Une fois le virus vaincu. Quelle attitude adoptée, quelle leçon tirée. Que faire, puisqu’on a toujours besoin d’ennemi, tant qu’on n’a pas dépassé notre infantilité ? C’est dans ce contexte que le chinois pointe du nez. Il est désigné par le président populiste, comme étant l’origine de l’hécatombe. Mais cela ne veut aucunement dire qu’il détrône le musulman. Celui-ci, garde une place de choix. Il mobilise, focalise : ses racines vénéneuses non seulement plongent dans la conscience judéo-chrétienne, mais plongent en même temps dans l’avenir de l’humanité, ce futur qui est la propriété exclusive de cette même civilisation, si blanche, qu’elle ne peut souffrir la moindre tâche brune ou noire?

 

Cependant, il y a des volontés qui frémissent, une certaine sagesse  qui s’exprime, de nobles voix qui surgissent : le mur, le bannissement des musulmans et l’identitarisme ne vont-ils pas de pair avec une certaine claudication de l’esprit ? Comment se régénérer en vivant entre cousins cousines, échangeant le même pain rassis ?

 

De plus en plus, le portrait du véritable ennemi se précise. Il n’est nullement ce coupable présumé. C’est plutôt, cette idéologie suprématiste doublée de l’égocentrisme identitaire. Le libéralisme carnivore. La criante opulence qui côtoie la plus affligeante des misères. C’est là, le terrain qui permet au virus de prospérer et de prendre toutes ses aises, en toute sérénité.

 
Ahmed Ben Bannour


Sauvons l'agneau!

La frontière est certes, un attribut d’indépendance, un emblème définissant une nation et sa spécificité. La délimitation des frontières est donc une nécessité vitale. Cependant, ces symboles puissants de souveraineté, ne désignent nullement, un pays qui se recroqueville, se barricade. Mais désignent plutôt une main tendue, une ouverture, une régularisation d’un flux sanguin, afin que les esprits s’émancipent dans la diversité.

 

Si c’est le cas. N’est-il pas temps d’en finir avec ces représentations étriquées ? Comprendre que notre ethnocentrisme pétri d’autosuffisance, de préjugés stéréo-typiques, nous conduit à l’impasse. Que cette vérité narcissique dont nous nous parons, s’effiloche, une fois soumise aux exigences historico-culturelles.

 

Rappelons-nous. Sans aucune immunité et face à la variole et d’autres fléaux contagieux. Les pauvres indiens affrontèrent leur funeste sort. L’Afrique, vidée de sa substance par l’esclavage, piétinée par des dictatures ubuesques, allait-elle survivre à l’ère du corona ? « Si le virus n’est pas vaincu en Afrique, il ne fera que rebondir vers le reste du monde », nous dit Ahmed Abiy ministre éthiopien et lauréat du prix noble de la paix. Une telle phrase, résume admirablement notre problématique : nous sommes tous, dans le même radeau, exposés au même venin, de la même méduse.

 

Le coronavirus est condamné à disparaitre et il ne part pas les mains vides. Saisissons nous de cette cicatrice indélébile pour en finir avec ces immondices, ces imbécilités, ces contre-vérités, ces fictions fantasmagoriques, qui veulent substituer au réel leurs propres idioties érigée en vérités immaculées.

 

Qui d’entre nous n’entend pas les cris épouvantés de l’agneau, que l’on traine dans le temple de la suprématie, afin de le sacrifier sur l’autel de l’égoïsme identitaire. Que diable ! Sauvons l’agneau ! Faisons bloc ! Mobilisons-nous ! Crions haut et fort : No Pasaran!.