Le journal anglais, The Guardian du 3 Mars, nous présente une
analyse des plus fines sur les liaisons adultérines, surprises par la lumière
du jour, entre l’Angleterre et l’Arabie saoudite. Avec un cynisme complice, il
nous dit qu’il devient urgissime de rompre nos liens avec ce régime, maintenant,
qu’il n’est plus d’aucune utilité. «Ne sommes-nous pas autonome en énergie.
Alors qu’attendons-nous pour prendre nos distances avec ce régime d’horreur ? »
S’interroge le journal.
Même son de cloche du côté de Washington. Trump hausse le ton, la
lune de miel prend fin avec fracas. Rappelons cette scène mémorable de la danse
des sabres, suivie de cette scène non moins mémorable, qui nous montre un MBS à
la maison blanche, affaissé dans ses habits exotiques, devant un Trump, assis
sur ses lauriers. Celui-ci, en bon marchand d’armes, exposant à ce marchand de
tapis, les dernières merveilles de «destruction massive » : alors
que ce dernier faisant figure de chef indigène, fasciné devant cette ferraille
étincelante, qui peut en un clin d’œil, anéantir toute une tribu rivale.
N’est-ce pas que c’est indécent pour un grand chef d’une grande tribu, de
négocier le prix de ces merveilles, qui promettent écrasement de l’ennemi et étanchement de
toutes les vendettas en souffrance ?
La lune de miel a vécu. Trump fulmine aujourd’hui, découvrant sa
fibre démocratique. Le congrès, de même que certaines voix des plus autorisées,
vont encore plus loin, en appelant à des sanctions contre un régime féodal, qui
ne fait que peu de cas des droits de l’homme. Un régime, qui n’est qu’un
guêpier, où pullulent les oisillons terroristes les plus prometteurs.
Comment on en est arrivé là ? Comment l’ami bien aimé, dont on
a chanté les louanges à tout vent, s’avère si exécrable ? Et comment, lui-même,
n’a pas saisi que l’image de marque est un trésor, si précieux, qu’il ne peut
souffrir la moindre incartade.
Fallait-il être naïf pour expliquer une telle hécatombe par l’effondrement
spectaculaire des prix de baril. Ni la guéguerre entre la Russie et l’Arabie,
ni la surproduction noyant et le marché et ses capacités de stockage : tous
ces éléments ne sont que l’arbre qui cache la forêt. Le coronavirus, à son tour, évoqué à tort et à travers, n’est
que la goute qui a fait déborder le vase. Mais, le vase saoudien a une
particularité spécifique, il est empli d’une liqueur dont l’arôme est si enivrant,
qu’il inocule cette paranoïa qui ne s’assigne aucune frontière à sa mégalomanie.
Rappelons-nous Neom. Cette folie grandeur nature, qui n’est qu’une ville titanesque
avec une lune surdimensionnée, et des étoiles hors norme, et des robots en
guise d’humains circulant dans des rues pavées de marbre, bordées de palais en
ivoire. Tous cet univers de merveille, où seule Alice peut s’y aventurer, est aujourd’hui à l’abandon, seuls les corbeaux y croassent.
Est-ce une telle mythomanie qui a rendu les dirigeants Saoudiens sourds
et aveugles à leur propre sort ? Comment n’ont-ils pas entendus les
craquements assourdissants d’un monde en pleine mutation ?
Pour s’arrêter ne serait-ce, que sur leur principale source de
puissance. Comment n’ont-ils pas été secoués par tant de signes annonciateurs,
de tant de révolutions : les énergies renouvelables, l’énergie verte
réclamée à cors et à cris, l’énergie éolienne et solaire….etc.
Depuis quand, une principale exportation est éternelle ?
Depuis quand, une demande défie la loi de la gravité ? Une telle myopie
intellectuelle sera perçue un jour comme légendaire, alors comment l’expliquer ?
Disons plutôt, c’est le règne du parti
unique, dans sa dimension la plus caricaturale, à savoir le parti tribu, dont
le chef est l’élu de Dieu. Comment dès lors, contester une orientation inspirée
par le divin ? Ne s’agit-il pas d’une théocratie, qui a la conviction que
son monopole de la baraka garantit l’autosuffisance, et tient lieu de
concertation, réflexion et écoute attentive ?
Un pouvoir d’un autre âge
Et pourtant, l’arrivée de
Mohamed Ben Salman était vue par l’occident comme une aubaine, puisqu’il va
renouveler les bases vermoulues de la domination occidentale. Pour la rue arabe,
il exprimait un véritable rendez-vous avec l’histoire. Ainsi, le labyrinthe
gérontocratique est rompue avec son lot
de misère intellectuelle et son oppression sordide, tout cela est derrière
nous. Le nouvel homme fort de l’Arabie est jeune, ambitieux, comprenant
parfaitement les enjeux, aussi bien internes qu’externes. L’heure des grandes
réformes a sonné.
Hélas, tout cela s’est révélé vœux pieux. Le jeune fringant, tout à
son enthousiasme juvénile, allait se montrer encore plus despotique, plus
tyrannique que ces vieillards sénile. Avec lui, nous découvrons l’art du cynisme
ubuesque et la cruauté d’un tyran. Nous découvrons, en même temps, que son beau
programme de réforme n’est qu’une vaste fumisterie mystificatrice.
L’occident est choqué, change son fusil d’épaule. Ce régime n’a
plus les moyens de sa puissance, il devient encombrant, voir même salissant. Que vaut une marionnette
en bois qui ne réussit ni guerre ni paix, dont la psychorigidité ancestrale expose
les intérêts occidentaux à un danger
imminent. ? Le printemps arabe renait de ses cendres, il promet de faire
table rase d’un passé considéré comme passéiste, puisqu’il est en rupture avec
l’actualité et sa modernité salvatrice.
Nous. Pour notre part, Arabes et Musulmans, n’avons-nous pas vécu la même
mésaventure ? N’avons-nous pas découvert que cet homme qui a soulevé notre
enthousiasme, n’est en fait qu’un nouveau satrape, ayant pour mission sacrée de
reproduire la même structure fanatique, arborant haut et fort, l’asservissement,
la décapitation, la flagellation et pour couronner le tout, enclenchant une guerre provoquant, selon L’ONU, la plus
odieuse des crises humanitaires.
L’homme providentiel s’est révélé à nous, lors de L’assassinat du
journaliste Saoudien Jamal Khashoggi. Notre
torpeur fut vivement secouée, le côté sordide du crime nous ramena aux heures
sombres de notre histoire sanguinaire. Le crime sonna le glas d’une complicité
indécrottable, les hyènes ricanèrent en pointant du doigt la crédulité de notre
ingénuité faussement juvénile.
MBS tout excusé
Cependant, Mohamed Ben Salman n’a-t-il pas toutes les excuses de
toutes ses tribus ? Comment pouvait- il agir autrement, puisqu’il n’y a ni
presse libre, ni tradition de débat, ni expression contradictoire, ni ouverture
intellectuelle, ni élite scrutant d’autres horizons ? Ni la moindre effervescence
de l’esprit ? Que peut conseiller une bigoterie se nourrissant de vendetta tribale
et d’indigence intellectuelle ? Le jeune MBS, quelle que soit sa volonté,
ne pouvait échapper à son destin, sauf s’il avait eu les qualités d’un leader,
d’un meneur d’hommes exceptionnel. Or sur ce plan, il s’avère désespérément
démuni. Serions-nous étonnés, si nous constaterions qu’avec son avènement les dés
sont déjà jetés. Il ne peut concevoir le monde autrement, ni entrevoir un autre
mode de pensée : la bulle du narcissisme tribal, le cordon ombilical, fouet
et fouettards, sabre et bourreau, tout ce beau monde se porte toujours comme un
charme.
L’homme met en lumière le drame que nous affrontons dans le monde
arabe. Il met en évidence notre incapacité, «que certains disent congénitale »,
à nous reconstruire dans la modernité, à
jeter par dessus bord cette tyrannie, qui nous colle à la peau comme une
damnation ou une sangsue.
Ainsi, la combinaison d’un certain nombre d’éléments intervient
pour que la donne change. Le naufrage s’annonce et le Titanic chavire. Est-ce
la fin du monstre théocratique ? Est-ce la fin de la tribu et l’émergence
de la citoyenneté ? Tant il est vrai, que ce n’est pas la fin de l’Arabie
heureuse mais, la fin d’une dynastie tartuffrière, d’une idéologie wahhabite obscurantiste.
Depuis son arrivée, son pays ne se relève plus avec tant de revers, tant de banqueroutes. Il découvre que tout cela, ne s’apparente, ni à Waterloo, ni à Arcole, mais c’est l’heure, où l’on regrette d’avoir manqué l’école.
Durant ces dernières années, nous avons assisté à l’émergence d’une société
civile, constituée d’intellectuels chevronnés, dotés d’un sens critique sans
concession. Un genre particulier d’ulémas prêchant un Islam démocratique. Des
femmes de plus en plus présentes, défiant la bastonnade et la prison, exprimant
haut et fort leur droit à leur liberté d’expression, leur droit à leurs corps. Il
s’agit d’une élite, qui est là, présente et qui prend la relève, et s’apprête à
effacer ce nuage qui a assombri depuis des siècles le ciel de l’Arabie, en
plein jour.
Quant à notre jeune héros, qui croyait jusqu’à hier, avoir le bâton
de maréchal dans sa giberne, il découvre aujourd’hui, à son corps défendant,
que ses pas sont semés de drames et d’épitaphes. Depuis son arrivée, son pays
ne se relève plus avec tant de revers, tant de banqueroutes. Il découvre que
tout cela, ne s’apparente, ni à Waterloo, ni à Arcole, mais c’est l’heure, où l’on
regrette d’avoir manqué l’école.
Ahmed Ben Bannour
Ahmed Ben Bannour