La police est elle autre chose
que ce dont elle est censée être ? Il est vrai que «la cité vertueuse» n’est
nullement notre malheureuse cité. Mais, quand même, la police est là pour
policer les instincts sordides, adoucir la violence débridée. Voilà, qui nous
amène à nous interroger légitimement : par quelle entourloupette, la police
au lieu d’être policée, elle-même, se retrouve ensauvagée ? Par quel
miracle, s’est opéré un tel retournement brutal : « le sauvage »
Arabe ou Noir, s’érige en dénigreur d’une violence primitive, d’une arrogance
moyenâgeuse, d’une arriération mentale affligeante?
Cependant, la police ne doit
pas être l’arbre qui nous cache l’océan de misère. Les «forces de l’ordre »
ne sont nullement une entité agissant dans un empyrée. Elles reflètent une
culture de domination, elles expriment un univers mental, nourrit à satiété de
tout un héritage qui a la vie dure et l’empathie blindée.
C’est dans ce contexte, que
l’homme Noir se trouve investi d’une mission inattendue : celle de
réécrire une nouvelle histoire ? De désigner une suprématie décadente, qui
renaît constamment de ses ordures ? De dénuder une hypocrisie teintée de
complicité ? L’homme Noir ose l’impensable, il tend la main à l’Arabe, à
tous les opprimés. Il les invite à sortir la philosophie de l’ankylose du
miasme, pour qu’elle prenne de nouveau son envol, en dehors de la fachosphère,
de tous ces pseudos philosophes, ces clowns qui s’érigent en gardiens du
temple ? Ces vautours, qui se nourrissent de la grandeur et du rêve de
l’homme. Derrière la souffrance de l’homme Noir et la barbarie du racisme, nous
découvrons la souffrance de toute une humanité laissée pour compte, une
humanité écrasée, colonisée, piétinée et asservie.
Que signifie être Noir, être Arabe ?
Être Noir ou Arabe, c’est
faire partie d’une autre humanité, ou plutôt un semblant d’humanité, une sorte
de conglomérat vague, qui se situe dans un no man’s land. C’est justement cette
autre humanité qui dérange, puisqu’elle est porteuse d’une culture, d’une
différence, des germes d’une évolution incontrôlée. Un ensemble de choses qui
risquent de secouer une identité, ou pire la souiller dans sa pureté immaculée.
Ce qui exacerbe la haine
raciste en Amérique, c’est que le Noir, n’est plus l’esclave passif, chantant à
longueur de journée, les louanges du maître seigneur. Non, le Noir, homme comme
femme, s’impose comme volonté créatrice, comme acteur de la vie politique et
entrepreneuriale, comme enrichissement artistique. Il est donc en train
d’usurper un prestige, une ascension, un honneur, un ensemble de
caractéristiques qui sont la priorité exclusive de l’homme Blanc. Celui-là même
qui monopolise l’intelligence, le courage, l’esprit créatif. Quelle décadence
que de voir ces valeurs tant enviées, en voie d’être partagées avec l’inférieur.
Quelle hécatombe pour la civilisation blanche !
Le même phénomène se déroule avec
l’Arabe. Le colonisé d’hier, méprisé, honni, considéré comme quantité
négligeable, fait aujourd’hui écarquiller les yeux, puisqu’il connaît une
mutation prodigieuse. Le balayeur bougonneux d’hier, est l’éloquent homme
d’entreprise aujourd’hui, pour ne pas dire le fringant homme politique, sinon l’homme
de culture, ou l’homme des prétoires. La Fatma d’hier, synonyme d’oppression
ancestrale, de sous-développement congénital, est aujourd’hui la sémillante
leader, emblème de rayonnement, de réussite et de conquête.
Tout cela enrage frénétiquement.
Les identitaires parlent de barbares à la porte de la ville. Des envahisseurs
qui s’apprêtent à prendre d’assaut la civilisation ! Dans ce contexte-là,
si l’islamisme n’existait pas, il aurait fallu l’inventer, en faire
l’épouvantail, pour que la peur tétanise la cité. Heureusement, des hommes et
des femmes, véritables consciences de lumières, se lèvent d’un bond, pour dénoncer
l’absurdité d’une démagogie. Ils désignent avec un doigt qui ne tremble pas,
les authentiques barbares. Ceux, qui entachent la face de la république en propageant
le déshonneur de la ségrégation raciale.
Aujourd’hui, à travers le
racisme, anti-Noirs et anti-Arabes. Toute une humanité se trouve propulsée sur
les devant de la scène. Tout un ensemble de comportements, de conventions, de
pratiques, se trouvent sur la sellette. Sans exagération, aucune, disons que
les fondements d’une culture trop encensée, sont vivement secoués. Voilà,
pourquoi nous nous interrogeons légitimement, si nous ne sommes pas en train de
vivre une révolution culturelle. Tout un patrimoine légué par des siècles
d’oppression, se trouve vertement questionné.
I
CAN’T BREATH
I can’t
breath. On se demande : est-ce Floyd qui ne trouva pas d’air, et ne put donc
respirer, ce qui lui était fatal, ou bien c’est toute cette humanité qui ne
peut plus endurer tant de vexations, tant d’expropriations ? L’air dont il
s’agit, est l’air rafraichissant, qui permet de secouer le joug des oppresseurs.
Le plaquage ventral infligé à Floyd, à Adama, à Cédric est le même que
subissent des communautés entières, voir des peuples pour différence religieuse,
ethnique ou autre. Ce sont ces mêmes entités qui crient haut et fort, leur
droit à l’égalité des droits, leur rejet d’une charité chrétienne, ou d’un
humanisme de pacotille. Voilà pourquoi ils crient aujourd’hui, à
l’unisson : we can’t breath.
Un homme subissant un plaquage
ventral, gémissant sous le poids du genou d’un fasciste Blanc. C’est l’illustration
de la domination de ce dernier, c’est l’hégémonie d’une culture ségrégationniste
abjecte. Drôle de dialogue surréaliste. L’homme Noir gémissant, crie qu’il ne
peut respirer, mais justement, l’homme au dessus de lui ne veut pas qu’il
respire, puisque l’air ambiant est sa propriété, et ne peut le partager
équitablement avec un homme de condition inférieure.
Cette image nous a
profondément bouleversés. C’est l’humanité qui est touchée en nous, c’est son
universalité qui s’indigne en nous. Voilà pourquoi, cela nous met face à nos pleutreries.
Tout un cortège bigarré s’invite à notre mémoire : des cordes de pendaison,
de lynchage, des chaînes aux cous, des ventes aux surenchères, des ratonnades,
des villages rasés, un continent dépeuplé, etc. Comment avons-nous fait pour oublier ?
Quelle éponge sournoise a visité, à notre insu, notre mémoire pour effacer
cette souillure, afin que notre confort psychologique et moral ne soit pas égratigné.
Sommes-nous aujourd’hui à
l’orée d’une révolution culturelle ? Ces déboulonnages de ces statuts, ces
dénonciations, ces émotions, cette colère qui gronde. Est-ce le prodrome d’une
nouvelle ère ? Tout cela n’est-il pas un grattage révélant une histoire
ensanglantée, d’une humanité qui traversa les siècles, face enfoncée dans la
boue. Comment tolérer que cela perdure ?
Comment ne pas mettre en
relief l’esclavage, l’inégalité des races, donc, le pillage, la colonisation,
l’épuration ethnique, l’apartheid, le génocide des peuples autochtones. Ne s’agit-il
pas de l’histoire glorieuse d’un homme Blanc
qui exerça son droit divin, d’écraser de son genou la nuque d’un peuple qui
réclame son droit à la respiration.
Sommes-nous à l’orée d’une
révolution culturelle ? Bon Dieu, les conséquences sont extraordinaires.
Cela veut dire que nous allons entrer de plein pied, en pleine modernité. Cela
veut dire, que nous allons tourner cette page de honte. Cette même page qui empoisonna
notre existence, assombrit nos horizons et ceux des générations futurs.
Reste à dire, qu’une telle
modernité intellectuelle, ne peut avoir lieu sans le feu roulant d’une critique
historique dévastatrice et salutaire, nous rappelant que nos préjugés sont
complaisamment entretenus, que nos exclusions sont savamment maintenues, que
nos lâchetés sont abondamment irriguées. Ainsi, c’est une supercherie que de proclamer
sur tous les toits, que la barbarie Hitlérienne est effacée, que l’infâme fasciste
est vaincue. Non, l’opprobre s’efface il est vrai, mais il continue
sournoisement à structurer certaines consciences. Tant il est vrai, que « les
progrès de la raison sont lents et les racines des préjugés profondes », comme
nous l’enseigna le grand Voltaire.
Voltaire, dites-vous ? Alors,
n’est-il pas temps d’écouter ces allumeurs de réverbères, ceux qui s’attèlent à
cette noble tâche de nous éclairer, de rétablir les ponts avec une fraternité
méprisée. Ceux, qui nous apprennent à trembler d’émotion et de colère face à
l’asservissement de l’homme par l’homme. Ceux, qui nous apprennent qu’il faut
se méfier d’une vérité qui ne satisfait que soi, et surtout cette vérité ignominieuse
qui veut convaincre que certains hommes sont d’une autre essence, ce qui
justifie leur asservissement et la confiscation de leurs droits.