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mercredi 24 juin 2020

La police, le racisme, le déshonneur


La police est elle autre chose que ce dont elle est censée être ? Il est vrai que «la cité vertueuse» n’est nullement notre malheureuse cité. Mais, quand même, la police est là pour policer les instincts sordides, adoucir la violence débridée. Voilà, qui nous amène à nous interroger légitimement : par quelle entourloupette, la police au lieu d’être policée, elle-même, se retrouve ensauvagée ? Par quel miracle, s’est opéré un tel retournement brutal : « le sauvage » Arabe ou Noir, s’érige en dénigreur d’une violence primitive, d’une arrogance moyenâgeuse, d’une arriération mentale affligeante?


Ahmed Ben Bannour


Cependant, la police ne doit pas être l’arbre qui nous cache l’océan de misère. Les «forces de l’ordre » ne sont nullement une entité agissant dans un empyrée. Elles reflètent une culture de domination, elles expriment un univers mental, nourrit à satiété de tout un héritage qui a la vie dure et l’empathie blindée.


C’est dans ce contexte, que l’homme Noir se trouve investi d’une mission inattendue : celle de réécrire une nouvelle histoire ? De désigner une suprématie décadente, qui renaît constamment de ses ordures ? De dénuder une hypocrisie teintée de complicité ? L’homme Noir ose l’impensable, il tend la main à l’Arabe, à tous les opprimés. Il les invite à sortir la philosophie de l’ankylose du miasme, pour qu’elle prenne de nouveau son envol, en dehors de la fachosphère, de tous ces pseudos philosophes, ces clowns qui s’érigent en gardiens du temple ? Ces vautours, qui se nourrissent de la grandeur et du rêve de l’homme. Derrière la souffrance de l’homme Noir et la barbarie du racisme, nous découvrons la souffrance de toute une humanité laissée pour compte, une humanité écrasée, colonisée, piétinée et asservie.


Que signifie être Noir, être Arabe ?   

Être Noir ou Arabe, c’est faire partie d’une autre humanité, ou plutôt un semblant d’humanité, une sorte de conglomérat vague, qui se situe dans un no man’s land. C’est justement cette autre humanité qui dérange, puisqu’elle est porteuse d’une culture, d’une différence, des germes d’une évolution incontrôlée. Un ensemble de choses qui risquent de secouer une identité, ou pire la souiller dans sa pureté immaculée.


Ce qui exacerbe la haine raciste en Amérique, c’est que le Noir, n’est plus l’esclave passif, chantant à longueur de journée, les louanges du maître seigneur. Non, le Noir, homme comme femme, s’impose comme volonté créatrice, comme acteur de la vie politique et entrepreneuriale, comme enrichissement artistique. Il est donc en train d’usurper un prestige, une ascension, un honneur, un ensemble de caractéristiques qui sont la priorité exclusive de l’homme Blanc. Celui-là même qui monopolise l’intelligence, le courage, l’esprit créatif. Quelle décadence que de voir ces valeurs tant enviées, en voie d’être partagées avec l’inférieur. Quelle hécatombe pour la civilisation blanche ! 


Le même phénomène se déroule avec l’Arabe. Le colonisé d’hier, méprisé, honni, considéré comme quantité négligeable, fait aujourd’hui écarquiller les yeux, puisqu’il connaît une mutation prodigieuse. Le balayeur bougonneux d’hier, est l’éloquent homme d’entreprise aujourd’hui, pour ne pas dire le fringant homme politique, sinon l’homme de culture, ou l’homme des prétoires. La Fatma d’hier, synonyme d’oppression ancestrale, de sous-développement congénital, est aujourd’hui la sémillante leader, emblème de rayonnement, de réussite et de conquête.


Tout cela enrage frénétiquement. Les identitaires parlent de barbares à la porte de la ville. Des envahisseurs qui s’apprêtent à prendre d’assaut la civilisation ! Dans ce contexte-là, si l’islamisme n’existait pas, il aurait fallu l’inventer, en faire l’épouvantail, pour que la peur tétanise la cité. Heureusement, des hommes et des femmes, véritables consciences de lumières, se lèvent d’un bond, pour dénoncer l’absurdité d’une démagogie. Ils désignent avec un doigt qui ne tremble pas, les authentiques barbares. Ceux, qui entachent la face de la république en propageant le déshonneur de la ségrégation raciale.


Aujourd’hui, à travers le racisme, anti-Noirs et anti-Arabes. Toute une humanité se trouve propulsée sur les devant de la scène. Tout un ensemble de comportements, de conventions, de pratiques, se trouvent sur la sellette. Sans exagération, aucune, disons que les fondements d’une culture trop encensée, sont vivement secoués. Voilà, pourquoi nous nous interrogeons légitimement, si nous ne sommes pas en train de vivre une révolution culturelle. Tout un patrimoine légué par des siècles d’oppression, se trouve vertement questionné.

Ahmed Ben Bannour


I CAN’T BREATH

I can’t breath. On se demande : est-ce Floyd qui ne trouva pas d’air, et ne put donc respirer, ce qui lui était fatal, ou bien c’est toute cette humanité qui ne peut plus endurer tant de vexations, tant d’expropriations ? L’air dont il s’agit, est l’air rafraichissant, qui permet de secouer le joug des oppresseurs. Le plaquage ventral infligé à Floyd, à Adama, à Cédric est le même que subissent des communautés entières, voir des peuples pour différence religieuse, ethnique ou autre. Ce sont ces mêmes entités qui crient haut et fort, leur droit à l’égalité des droits, leur rejet d’une charité chrétienne, ou d’un humanisme de pacotille. Voilà pourquoi ils crient aujourd’hui, à l’unisson : we can’t breath. 


Un homme subissant un plaquage ventral, gémissant sous le poids du genou d’un fasciste Blanc. C’est l’illustration de la domination de ce dernier, c’est l’hégémonie d’une culture ségrégationniste abjecte. Drôle de dialogue surréaliste. L’homme Noir gémissant, crie qu’il ne peut respirer, mais justement, l’homme au dessus de lui ne veut pas qu’il respire, puisque l’air ambiant est sa propriété, et ne peut le partager équitablement avec un homme de condition inférieure. 


Cette image nous a profondément bouleversés. C’est l’humanité qui est touchée en nous, c’est son universalité qui s’indigne en nous. Voilà pourquoi, cela nous met face à nos pleutreries. Tout un cortège bigarré s’invite à notre mémoire : des cordes de pendaison, de lynchage, des chaînes aux cous, des ventes aux surenchères, des ratonnades, des villages rasés, un continent dépeuplé, etc. Comment avons-nous fait pour oublier ? Quelle éponge sournoise a visité, à notre insu, notre mémoire pour effacer cette souillure, afin que notre confort psychologique et moral ne soit pas égratigné. 


Sommes-nous aujourd’hui à l’orée d’une révolution culturelle ? Ces déboulonnages de ces statuts, ces dénonciations, ces émotions, cette colère qui gronde. Est-ce le prodrome d’une nouvelle ère ? Tout cela n’est-il pas un grattage révélant une histoire ensanglantée, d’une humanité qui traversa les siècles, face enfoncée dans la boue. Comment tolérer que cela perdure ?


Comment ne pas mettre en relief l’esclavage, l’inégalité des races, donc, le pillage, la colonisation, l’épuration ethnique, l’apartheid, le génocide des peuples autochtones. Ne s’agit-il pas de  l’histoire glorieuse d’un homme Blanc qui exerça son droit divin, d’écraser de son genou la nuque d’un peuple qui réclame son droit à la respiration. 


Sommes-nous à l’orée d’une révolution culturelle ? Bon Dieu, les conséquences sont extraordinaires. Cela veut dire que nous allons entrer de plein pied, en pleine modernité. Cela veut dire, que nous allons tourner cette page de honte. Cette même page qui empoisonna notre existence, assombrit nos horizons et ceux des générations futurs. 


Reste à dire, qu’une telle modernité intellectuelle, ne peut avoir lieu sans le feu roulant d’une critique historique dévastatrice et salutaire, nous rappelant que nos préjugés sont complaisamment entretenus, que nos exclusions sont savamment maintenues, que nos lâchetés sont abondamment irriguées. Ainsi, c’est une supercherie que de proclamer sur tous les toits, que la barbarie Hitlérienne est effacée, que l’infâme fasciste est vaincue. Non, l’opprobre s’efface il est vrai, mais il continue sournoisement à structurer certaines consciences. Tant il est vrai, que « les progrès de la raison sont lents et les racines des préjugés profondes », comme nous l’enseigna le grand Voltaire.


Voltaire, dites-vous ? Alors, n’est-il pas temps d’écouter ces allumeurs de réverbères, ceux qui s’attèlent à cette noble tâche de nous éclairer, de rétablir les ponts avec une fraternité méprisée. Ceux, qui nous apprennent à trembler d’émotion et de colère face à l’asservissement de l’homme par l’homme. Ceux, qui nous apprennent qu’il faut se méfier d’une vérité qui ne satisfait que soi, et surtout cette vérité ignominieuse qui veut convaincre que certains hommes sont d’une autre essence, ce qui justifie leur asservissement et la confiscation de leurs droits.